Préambule
A l’occasion de la fête internationale de la lutte pour les droits des femmes le 8 Mars, j’aimerais vous parler de Jeanne Coudret, née Thibault, infirmière bénévole pendant la Grande Guerre. J’ai déjà eu l’occasion de vous présenter ma grand-mère paternelle le mois dernier. Au début du conflit, elle était aux côtés de son mari, Henri Coudret, officier de carrière se préparant à partir au combat. Restée seule, Jeanne n’était pas dans la nécessité de travailler pour vivre, mais elle voulait servir son pays.
Pris de court par la déclaration de la guerre de l’été 1914, le Service de santé de l’Armée mobilisa 30000 infirmières professionnelles. Mais devant l’afflux des blessés, la situation devint vite intenable. On manqua d’effectifs dans les hôpitaux. L ’Armée fit alors appel à la société civile. Jeanne, comme des milliers d’autres femmes, se porta volontaire dès le mois d’Août 1914 comme dame infirmière à la Société de Secours aux Blessés Militaires (S.S.B.M).
Jeanne mena ainsi pendant quatre années, une autre existence sociale que celle à laquelle son éducation et son mariage la prédestinait. Comme beaucoup de femmes, qui ont servi comme infirmière bénévole ou pris la place des hommes absents dans les usines ou dans les champs, Jeanne montra de grandes capacités professionnelles. Pour autant, les femmes n’acquirent aucun droit supplémentaire en matière de travail après cette Guerre. La reconnaissance de la Nation fut purement symbolique. Il fallut attendre la fin de la deuxième Guerre Mondiale pour que l’égalité des droits soit reconnue aux femmes et aux hommes « dans tous les domaines » [1]
Mais revenons à 1914…
La Guerre ne devait durer que six semaines
En débarquant à la gare de l’Est à Paris, ce Mercredi 5 Août 1914, Jeanne attendit que Madame D., l’épouse inconsolable de l’officier ayant rejoint les avant-postes [2], ait été prise en charge par une automobile avec ses domestiques. Quoique fatiguée par ce voyage, étreinte aussi par une certaine angoisse, Jeanne était bien décidée à ne pas se laisser aller. Après tout, la Guerre ne devait durer que six semaines. C’est en tout cas ce qui se disait dans les Etats-Majors et jusque dans le Régiment d’Henri. D’ailleurs, un peu plus tôt, en descendant du train à Paris, elle avait entendu sur le quai des réservistes, dont l’accent trahissait une origine occitane, s’exclamer : « Nous serons de retour pour les vendanges ».
En chemin vers le domicile de ses parents du 18, rue de Rivoli, Jeanne tenta de se rassurer en priant. « Dieu veuille que la guerre cesse bientôt », se disait elle. Elle fut accueillie avec chaleur par ses parents qui l’écoutèrent raconter ses derniers jours à Saint Mihiel. Elle leur fit « un tableau poignant des préparatifs comme des angoisses qui étreignaient chaque famille d’officiers ». Son récit n’entama pourtant pas la résolution de son frère, Jean, qui était présent. A 19 ans. plein d’enthousiasme et « tout désolé de son inaction », il attendait qu’on l’appelle [3]. Comme son frère, Jeanne était bien décidée à agir. Elle ne savait pas encore comment. Et comme elle était très croyante et pieuse, elle prit conseil les jours suivants auprès de l’abbé Gauthier, curé de l’église Saint Gervais, la paroisse où elle avait été baptisée et où elle s’était mariée deux ans plus tôt.
En sortant de l’église ce jour-là, Jeanne réalisa combien les rues de son quartier étaient emplies de femmes en uniforme. Cet uniforme se composait d'un voile bleu bordé de blanc et d'une longue cape de drap bleu foncé marqué à gauche d'une Croix Rouge. Des femmes qui étaient déjà en temps de paix, affectées à une fonction sanitaire, rejoignaient leur poste comme les soldats mobilisés [4]. Jeanne aurait pu se contenter d’aider sa mère, Henriette Thibault, en jouant son rôle de sœur aînée auprès de ses frères et sœurs plus jeunes, notamment de Madeleine qui n’avait que 14 ans. Et attendre ainsi le retour de son mari. Mais comme des centaines d’autres femmes, prises d’une véritable passion pour l’hôpital, Jeanne se porta volontaire auprès d’une ambulance.
Affectée à l’hôpital auxiliaire N°13 de Versailles
Le 28 Août, Henriette Thibault, écrivait à une de ses cousines : « Ma fille Jeanne est très courageuse. Elle a été acceptée dans une ambulance des environs et attend l'arrivée de blessés pour entrer dans ses fonctions. Elle voulait absolument s'occuper utilement pour ne pas trop s'absorber dans ses pensées. ».
Jeanne avait en effet démarré une formation diplômante à la S.S.B.M. D’après l’article 12 du règlement général sur les dispensaires, auquel cette société se référait, « Les périodes d’instruction pour le diplôme simple ont une durée de quatre mois consécutifs ». Seulement, à la fin du mois d’Août, le carnage avait commencé : chaque armée essayant de déborder l'autre. Justement ce 28 Août, fut considéré comme ayant été une des journées les plus meurtrières de la Grande Guerre [5], laissant des milliers d’orphelins : 12 000 morts ce jour-là, sans compter les blessés qui ne tardèrent pas à arriver à l’arrière par trains entiers.
Alors que les Français venaient de stopper l’avance allemande sur la Marne, Jeanne fut affectée le 15 Septembre au service chirurgie de l’hôpital auxiliaire N° 13 à Versailles [6]. Ce nouvel hôpital avait été aménagé dans ce qui était l’hôtel de la Préfecture de la Seine, situé alors 13 rue de l’Ermitage. Pour ses commodités, Jeanne fut accueillie par ses beaux-parents, Edmond et Anne Marie Coudret, au 15, rue d’Angiviller à Versailles. Jeanne n’était ainsi qu’à quelques minutes de son lieu de travail. Un mot qu’elle n’aurait jamais pensé prononcer pour elle en temps de paix. D’ailleurs, pouvait on parler de travail dans la mesure où Jeanne était bénévole ? La plupart des dames infirmières autour de Jeanne étaient mariées et venaient comme elle de milieux aisés. Elles n’avaient à priori pas besoin de gagner leur vie ou celle de leur foyer. De toute façon, pour la majorité d’entre elles, il n’était pas question d’obtenir un salaire [7]. Elles accomplissaient avant tout leur devoir même si, bientôt, certaines d’entre elles, devenues veuves de guerre, furent rémunérés, avec un salaire dit « féminin ».
A la fin du mois de Septembre, Jeanne commençait à effectuer « deux fois par jour des opérations de stérilisation », en alternance avec des périodes d’instruction théorique. Dans les salles de formation comme dans les lieux de soins, Jeanne était vêtue d'une blouse blanche avec un tablier en pointe boutonnée sur la blouse et coiffée d'un voile blanc. Au début, certaines de ses consœurs, convoitaient l’uniforme comme l'expression d'une nouvelle mode. D’ailleurs, depuis la mobilisation, l'hôpital était devenu l'endroit le plus chic où il fallait se montrer. Mais ce snobisme disparut vite. Les blessés arrivaient. « Toutes les femmes mues par un bel élan de patriotisme et un besoin d’abnégation voulaient être infirmières, bien que beaucoup d’entre elles fussent incapables de supporter la vue du sang », raconte Julie Crémieux dans ses Souvenirs d’une infirmière. Certaines femmes rentrèrent très vite chez elles, mais la plupart, comme Jeanne, voulaient réellement servir de cette manière, si différente de celle des hommes.
Les dames infirmières étaient censées aider les médecins et les chirurgiens à prendre le pouls et la température. Elles examinaient les crachats, les selles, les urines, et apprenaient à refaire certains pansements. Mais elles assuraient aussi le confort des patients, faisaient leurs toilettes et préparaient leur nourriture. Enfin, elles entretenaient les locaux dans une parfaite propreté. Comme les autres, Jeanne assura certainement des tâches domestiques tout en menant des « opérations de stérilisation » [8].
L’hécatombe des premiers mois
Dans mon précédent article, Henri Coudret avait fait connaissance avec les « marmites » dès le 25 Août 1914 [9]. Dans l’argot des combattants, les marmites désignaient des projectiles de gros calibre qui explosaient au contact du sol. Très vite, la plupart des blessés le furent par les éclats de ces obus [10], souillés par la terre et contenant donc des germes extrêmement virulents.
Au mois de Juillet 1914, le Service de Santé de l’Armée avait prôné l’évacuation des blessés « au plus vite, au plus loin et par tous les moyens ». Or, en 1914, les antibiotiques n’existaient pas. L’évacuation devait se dérouler de la façon suivante : « un soldat blessé est secouru par des brancardiers. Dans un poste de secours avancé situé sur le front, un personnel médical constate la blessure, l’asperge de teinture d’iode (antiseptique) et pose un gros pansement avant d’évacuer le blessé loin à l’arrière, dans un hôpital distant de plusieurs dizaines de kilomètres ». On surestima l’action des antiseptiques comme la teinture d’iode et en évacuant au plus vite, on occulta les principes de chirurgie de plaie des parties molles [11]. Durant leur transport à l’arrière, il n’était pas rare que les blessés soient atteints de la gangrène alors que leurs blessures n’étaient pas forcément mortelles en elles-mêmes. D’où l’hécatombe des premiers mois, due essentiellement à des infections redoutables notamment la gangrène gazeuse. A partir de ce constat, on peut facilement imaginer en quel état les blessés arrivaient dans le hôpitaux à l’arrière, comme celui de Versailles. Lorsqu’ils ne mouraient pas en cours de route… On mesure aussi l'abnégation dont les soignants comme Jeanne durent faire preuve.
Dame infirmière le 22 Juin 1915
A la fin du premier semestre de 1915, Jeanne put s’inscrire à une session d’examen portant sur les matières du programme de l’enseignement théorique et pratique de dame infirmière. Après avoir passé l’ examen « comprenant une épreuve écrite, une épreuve orale, une épreuve pratique et une épreuve de pansements » [12], elle obtint le 22 Juin son Diplôme simple de dame infirmière de la Croix Rouge Française.
A la même époque, l’Etat-Major commença à distribuer des permissions aux soldats mobilisés depuis presque un an. Henri obtint la sienne le 31 Juillet. Jeanne eut droit de son côté à trois semaines environ de congés et put enfin souffler. Après un an de séparation, le couple se retrouva à Versailles sans doute au 15, rue d’Angiviller. Jeanne et Henri effectuèrent aussi un séjour à Brunoy dans la forêt de Sénart chez les Thibault. Jeanne y retrouva ses frères : Jean qui était parti au front deux mois plus tôt et Pierre qui venait d’être mobilisé. Mais la guerre continuait et Jeanne et Henri durent bientôt repartir chacun de leur côté : Henri, au front, au nord de Saint Mihiel, et Jeanne, à l’arrière, au chevet des blessés.
L’Armée qui sauve
Le Service de Santé de l’Armée avait largement eu le temps de corriger sa doctrine initiale, et de comprendre l’importance de la présence de chirurgiens et de structures opératoires sur la ligne de front. [13]. À l'arrière, les hôpitaux se spécialisaient, accueillant plus particulièrement les mutilés, comme les fameuses « gueules cassées », ceux qui nécessitaient une « chirurgie du cerveau », bientôt les « gazés », etc… Manquant d’information sur la « spécialisation » de l’hôpital auxiliaire n°13, j’ai imaginé qu’il accueillit aussi des blessés légers ou pour leur convalescence.
L'hôpital était devenu une sorte de terre promise pour le poilu. Combien de soldats rêvaient de la bonne blessure ? Pas trop grave ? Assez cependant pour s’assurer quelques semaines de repos, loin de la boue des tranchées et du bruit des obus, dans une salle paisible, entre des draps blancs, soignés et bercés par des femmes attentives. Ainsi, le Caporal E. Martel du 5eme Régiment du Génie, 7ème Compagnie Territoriale distribua le 29 Mai 1915 « aux dames infirmières de l’hôpital auxiliaire n°13 » un poème qu’il intitula « l’Armée qui sauve ». Ma grand-mère Jeanne en garda un exemplaire dédicacé à son nom, orthographié « Coudray ».
Son poème tient sur quatre pages. J’en ai extrait ici quelques versets, résumant sans doute assez bien l’état d’esprit des blessés qui finissaient leur convalescence dans ce type d’hôpital. Le Caporal E. Martel écrivit :
Aux soins du corps, l'infirmière, rebaptisée « l’ange », ajoutait son sourire, quelques mots affectueux. Mieux encore, sa seule image évoquait la douceur du foyer, l'amour de la maman, de l'épouse, de la fiancée, l'illusion que la guerre est finie ou va finir. Illusion, certes, car les soins des dames infirmières étaient censés rendre au plus tôt un combattant à l'armée, après que la signature de l'infirmière major ait mis fin à l'hospitalisation.
Jeanne, « en convalescence pour raison de santé »
En Mars 1916, la bataille de Verdun faisait rage. Pour soutenir l’effort de guerre, les restrictions se multipliaient, favorisant une recrudescence de maladies graves comme la tuberculose, touchant aussi bien les militaires que les civils [14]. Le nombre de blessés augmentaient et les soignantes étaient alors sur le pied de guerre, nuit et jour, au prix d’un réel épuisement physique et moral. Jeanne était devenu surveillante du service de chirurgie de l’hôpital N°13. Puis elle fut employée au service de médecine. Est-ce dans ce dernier service que Jeanne contracta un début de tuberculose ? Elle fut mise au mois de Mai « en convalescence pour raison de santé ». Son absence de l’hôpital dura jusqu’au 1er Septembre 1916. Elle reprit alors son service à l’hôpital jusqu’au 13 Octobre : « tous les jours, deux fois par jour, à part une journée pour aller voir mon frère blessé… ». En effet, Pierre avait été blessé le 20 Septembre à Verdun par deux éclats d’obus. Il était soigné à Troyes. Jeanne put s’y rendre avec sa mère. Le 28 Septembre, c’est le tour de son mari. Henri, d’être blessé. Il reçoit un éclat d’obus à la main droite le 27 septembre 1916 à Bouchavesnes, dans la Somme [15]. Il fut hospitalisé, puis rejoignit son poste le 17 Octobre 1916. Jeanne put prendre un autre congé pour aller le voir.
Fin 1917, Jeanne, épuisée, interrompt définitivement son service.
A partir de 20 Novembre 1916 jusqu’au mois de Novembre 1917, Jeanne va alterner des périodes de service et des périodes de « convalescence ». Marie Thibault, une de ses sœurs, écrivit dans son journal à la fin de l'année 1916 : « Paris est de moins en moins ville lumière : l’éclairage est de plus en plus limité… En Décembre, on parle de réduire la quantité de gaz et d’électricité… » En Janvier 1917, le charbon était devenu rare… Le mois de Février fut très rigoureux en région parisienne. On atteignit moins 12 ° C. Tout renchérissait par ailleurs : la viande fut bientôt supprimé les jeudi et vendredi. Malgré cela, Jeanne continuait de vouloir servir. Elle finit par être mutée à l’hôpital militaire Dominique Larrey à Versailles dans un service de lingerie. Son nouveau travail était peut-être moins éprouvant vu son état physique. En vain. Fin 1917, Jeanne, épuisée, interrompt définitivement son service et rentre chez ses parents.
Les bombardements deviennent le quotidien des parisiens
Dans la nuit du 30 au 31 Décembre 1917, Jeanne est chez ses parents et avec ses sœurs au 18, rue de Rivoli. Toute la famille est réveillée par des explosions. Paris subit son premier bombardement en masse. Marie Thibault nota : « On parle de 24 appareils Gothas qui auraient survolé la ville », semant la terreur pendant deux heures. Cette nuit-là, il y eut 45 tués et 207 blessés dans Paris. Dès lors, les bombardements deviennent le quotidien des parisiens. En mars 1918 ; les Allemands sont à nouveau sur la Marne, aux portes de Paris ou presque. Suffisamment près en tout cas pour que « l’arrière se rapproche dangereusement du front ». Aux bombardements aériens succède un autre type de bombardements Le Vendredi 22 Mars, « toutes les 10 minutes environ, un obus éclatait. Notre quartier eut sa part… ». On pense aux Gothas. En pleine journée ? On les cherche en vain dans le ciel. En fait, Paris fait connaissance avec le « Pariser Kanonen » [16]. Un canon dont la portée est de 120 kilomètres. « L’efficacité de ces obus est moins grande que celle des bombes aériennes. Mais on est sans cesse en attente et dans l’angoisse de se dire : voyons, le prochain où tombera-t ’il ? ». Marie nota : « Jeanne voudrait bien ne pas recevoir de bombes avant d’avoir revu Henri. »
Le Vendredi Saint 29 Mars, dans une sorte d’apothéose morbide : « A 4 heures et demi, l’office des Ténèbres allait commencer à Saint Gervais. La nef était pleine de monde, quand tout à coup, un bruit effrayant se fit entendre : un obus venait de frapper un contrefort de l’église… Un morceau de voûte… s’effondra entre la chaire et le banc d’œuvre dans un fracas formidable ! Une centaine de morts et une centaine de blessés… » Marie qui était restée seule à la maison ajouta : « Je me souviendrai toujours du coup sec de l’obus frappant notre chère paroisse. Ma famille venait de la quitter un quart d’heure avant et je me trouvais dans une mortelle inquiétude en voyant revenir rue de Rivoli plusieurs personnes blanches et couvertes de plâtre… Heureusement, ils rentrèrent ! »
Jeanne, décorée de la médaille Commémorative de la Grande Guerre
La famille Thibault décida de quitter Paris. Jeanne rejoignit Versailles où son mari allait avoir une permission. Au premier trimestre 1918, Henri s'éloigne enfin du front. Il effectue des stages en Etat-Major, à Senlis d’abord, puis à Melun au mois de mai. La dernière épreuve de Jeanne sera peut-être celle de découvrir sa maison de Saint Mihiel détruite fin Septembre. Mais, c’est une épreuve qu’elle partage avec son mari. En Octobre, ultime injustice : elle perd sa petite sœur Madeleine, emportée en 48 heures par la grippe espagnole. Enfin, en Novembre, sa soeur Marie écrivit : « La victoire approche à grands pas Mais jamais le Français n’a été aussi calme dans le succès. Pourquoi ? Parce que c’est la Victoire dans les larmes !... ». Tout est à reconstruire… En 1922, alors que Jeanne est devenue mère, elle obtient une reconnaissance symbolique de la Nation pour son dévouement. Elle est décorée de la médaille Commémorative de la Grande Guerre. Rien de plus, mais que demandait elle ? Sans doute la même chose que tout le monde : la paix !
Conclusion
Je n’ai jamais connu ma grand-mère Jeanne. Je le regrette beaucoup. D’après mon grand-père Henri, décédé en 1974, « Jeanne, en contractant une première alerte de tuberculose, avait beaucoup maigri pendant la guerre ». Une deuxième alerte lui fut fatale. Après avoir connu l’exode et un nième déménagement avec ses filles encore petites, une deuxième alerte lui fut fatale. Elle succomba à l’hôpital de Vichy le 12 Juillet 1941 d’une méningite tuberculeuse. Entre les deux guerres, Jeanne n’eut pas à utiliser les capacités professionnelles acquises pendant les quatre années de la Grande Guerre. Elle se dévoua à son mari et à sa famille. D’après ma tante Marie, l’aînée de ses filles, Jeanne était patiente et volontaire. Elle « avait une conception de l'éducation scolaire basée sur le système anglais. C'est-à-dire sport plein air, activités diverses pour une partie de la journée. Et étude pour l'autre moitié. ». Elle poussa son garçon et ses filles à mener des études. Et même si Jeanne ne connut jamais l’évolution des droits des femmes au travail, tels qu’ils s’inscrivent dans le préambule de la Constitution depuis 1946 et de la loi sur l’indépendance financière depuis 1965, je suis sûr que son courage et son abnégation pendant la Grande Guerre et le style d’éducation qu’elle a cherché à donner à ses enfants, ont éclairé l’action de ses filles. Par exemple, celle d’Annick., sa dernière fille, qui milita pour que les femmes obtiennent véritablement l’égalité des droits « dans tous les domaines », notamment dans le travail.
Notes de fin
[1] Le troisième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantit l’égalité des droits reconnus aux femmes et aux hommes « dans tous les domaines ».
[2] Voir l’article : Henri et Jeanne Coudret, un couple séparé par la Grande Guerre, comme tant d’autres.
[3] Jean Thibault s’était porté volontaire et allait bientôt obtenir un brevet d’aptitude militaire.
[4] Juste de l’autre côté de la Seine, on trouve l’Hôtel Dieu, un des plus grands hôpitaux de Paris à l’époque.
[5] Notamment dans la Haute Vienne.
[6] A côté des hôpitaux militaires, on trouve des hôpitaux auxiliaires administrés librement par la Croix-Rouge à ses frais. Pour ouvrir ces hôpitaux, l'autorité militaire réquisitionne des locaux : école, hôtel, château, etc… les hôpitaux auxiliaires se multiplient. En 1918, on en comptera 1400, abritant 120000 lits, répartis sur tout le territoire, à la campagne comme en ville.
[7] Les femmes disposaient du droit d’avoir un salaire pour elles depuis 1907.
[8] Ces tâches thérapeutiques consistaient à stériliser du matériel et à préparer des pansements, voire assister les chirurgiens aux opérations.
[9] Avant même que Maurice Genevoix n’en parle dans son ouvrage « Ceux de 14 », Henri et ses artilleurs les appelaient aussi «les gros noirs ».
[10] La majorité des blessures n’étaient pas dues aux balles de fusil ou aux armes blanches comme lors des précédents conflits notamment la guerre franco-prussienne de 1870. Dès le début de la Grande Guerre, on utilisa en masse les armes très meurtrières que sont les mitrailleuses et l’artillerie lourde qui tire des obus explosifs. 60 % des blessures le furent par les obus.
[11] Principe du débridement édicté en son temps par Ambroise Paré :c’est-à-dire l’élargissement de la plaie pour retirer tout ce qui est dévitalisé et infecté (esquilles osseuses, tissus en voie de nécrose...).
[14] A tel point que le gouvernement légiféra en 1916 et entama une campagne de prévention (loi Léon Bourgeois). Ce fut le début des sanatoriums.
[15] Henri fut cité pour cette blessure à l’ordre de la 12e division le 14 octobre 1916 :« Le 27 septembre 1916, a été blessé à la main droite par un éclat d’obus au moment où il portait secours au sous-lieutenant de la batterie qui venait d’être tué à son poste de combat ; a refusé de se laisser évacuer. »
[16] Trop souvent confondu avec la Grosse Bertha.
Quel bel article Régis. Ces archives familiales sont très émouvantes. J'espère aussi qu'il y aura une suite sur la vie de tes grands-parents.
Merci Régis pour cette belle page d'histoire et ce lien si émouvant que tu crées ainsi avec notre chère grand mère.
Cet article est très bien écrit et basé sur une importante documentation. Il est rédigé en l'honneur d'une femme, des femmes : bravo ! J'ai deux grands-tantes qui ont été infirmières bénévoles en 1914-1918, Jeanne THIBAULT et Yvonne FETIS. L'une me fait penser à l'autre. Le travail était épuisant en raison du nombre de blessés à soigner. C'est, sans doute, à leur contact que Jeanne THIBAULT a contracté la tuberculose. Elle est morte si jeune ! Ce fut le cas, aussi, d'Yvonne FETIS, mais cette dernière a eu la grippe espagnole. Nos ascendants (et collatéraux) sont importants, même lorsque leur vie a été brève. Merci pour ce beau texte qui est émouvant.
Quel bel article, j'espère que Jeanne nous réserve encore de belles histoires notamment sur ses exodes successifs lors de la seconde guerre mondiale. On s'attache très vite à ta grand-mère et ses aventures.