Quand on parle de carte postale, on pense à un morceau de papier cartonné rectangulaire de dimensions variables, illustrée par une photo ou encore une gravure . Mes archives familiales sont malheureusement pauvres en cartes anciennes de ce type. En revanche, je suis dépositaire de nombreuses cartes-lettre que mon arrière grand-père maternel, Gilles Ernest Roblin nous a laissées. Cet entier postal (1) non illustré fut introduit le 15 Juin 1886 par l'Administration des Postes et Télégraphes. La carte-lettre avait les mêmes caractéristiques en dimensions et poids que la carte-poste (2), une des toutes premières cartes postales (3). Aussi ai-je, pour les besoins de cet article, considéré la carte-lettre comme étant une petite cousine, descendante de la carte postale., De plus, sa diffusion ayant cessé depuis longtemps (4). on peut aussi dire que la carte-lettre est ancienne. Sans photo, ni légende, il ne me restait plus qu'à trouver dans les cartes de mon ancêtre, un dénominateur commun pouvant intéresser le lecteur. J'ai choisi les moyens de transport.
En 1908, mon bisaïeul maternel, Gilles Ernest Roblin, ne jurait plus que par l'automobile. Le 8 Novembre au soir, il écrivait à sa chère et tendre épouse, Marie Emilie, née Joubert : "... J'ai fait... très bon voyage, l'express cependant m'a paru bien lent et la campagne, entrevu à travers la fumée, bien triste. Décidément, il n'y a que l'auto."
Le train qu'il utilisait pourtant depuis sa jeunesse lui semblait plus ennuyeux que l'automobile dont il devait pourtant envisager l'entretien : "J'ai oublié de dire que, lorsqu'on graissera l'auto, il ne faut pas oublié la rondelle à billes de l'embrayage, qui a besoin de graisse
consistante."
A 53 ans, Ernest avait connu ou entendu parler d'un certain nombre de moyens de transport. La veille de ses quinze ans, le 8 Octobre 1870 (5). le gouvernement de défense national dans Paris assiégé par les prussiens, avait décidé d’envoyer son ministre de l’intérieur, Léon Gambetta, à Tours afin d’organiser la résistance. Pour ce faire il employa la voie des airs et quitta la capitale en ballon. accompagné des... premières cartes-poste.
La République prend son envol
A l'époque, mon bisaïeul était pensionnaire dans un établissement de jésuites, Saint Joseph de Poitiers. Ernest entra ensuite à la faculté de droit de cette ville. En 1875, bien que volontaire au tirage au sort pour le service, il fut exempté par le conseil de révision pour cause de myopie. Ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre ses études et d’obtenir sa licence en 1877. Il s’inscrivit alors au stage du barreau de la cour d’appel de Poitiers et devint avocat. Le 22 Octobre 1879, il se maria avec Marie Emilie Joubert, dont la famille était angevine. Il ouvrit un cabinet dont les revenus lui permirent d'élever ses cinq enfants et de s'assurer une rente confortable. Dès lors, il partagea sa vie de notable de province entre Poitiers où il plaidait, Mirebeau-en-Poitou où il ambitionnait de devenir Conseiller général et Le Thoureil, petite bourgade du Maine-et-Loire, où il avait sa résidence d'été. Sans oublier sa passion pour la chasse qui le menait dans les Deux Sèvres chaque mois de Septembre.
Pour mener à bien tous ses déplacements, il utilisa successivement ou simultanément suivant les trajets, un certain nombre de moyens de transport. Il s'essaya au derby, au tricycle à moteur, sans oublier la bicyclette, et pour les longues distances, il prenait le train dont les correspondances ferroviaires se multipliaient dans la deuxième moitié du XIXème siècle.
A chaque fois qu'il se déplaçait, Ernest avait l'habitude d'écrire à son épouse des petites lettres. Ainsi, fin Juillet 1883, ayant fini ses plaidoiries à la Cour d'appel de Poitiers, il rejoignit son épouse au Thoureil et la prévint qu'il prendrait le train qui devait le déposer à La Ménitré, non loin du Thoureil, à « 1 h 50, à moins que, la chaleur ne me force à prendre le train de 3 h 29 le matin… » (6). De là, le passeur de Saint Maur devait l’attendre pour lui faire traverser la Loire sur une gabare.
En Août 1885, il préféra prendre « sa voiture » (7). Ernest avait rejoint son épouse au Thoureil par le train pour des vacances, avec des pleins paniers de fraises ainsi que de légumes du jardin de Mirebeau. Malheureusement, attirés par la bonne odeur des fruits, des employés du chemin de fer visitèrent les paniers. Ce qui restait des fruits arriva à destination à l’état de compote. On put quand même en faire des confitures. Ernest ne chercha pas à porter plainte auprès de la compagnie de transports (8), mais décida de la « boycotter » un temps. C’est ainsi qu’il fit le trajet de retour sur Mirebeau fin Août, par la route avec son propre attelage. Cela lui prit deux jours (9). Emmené par sa jument « Bichette » à bonne allure, il atteignit sa destination en « bon état, bête et gens ». Dans un courrier posté le soir même à son épouse, il recommanda le trajet à ses beaux-parents, l’estimant plus agréable et plus court que celui par Montreuil et Loudun. Il conclut son périple en disant : « Tous mes colis sont arrivés en bon état, poires et pêches intactes et virginales ». Enfin, il couvre de baisers « sa charmante épouse et ses trois enfants ».
Dog cart de Derby
Trois ans plus tard, Ernest fit l’acquisition d’une bicyclette munie d’une chaîne de transmission. Même si l’engin n’était encore équipé que de bandages pleins, Ernest progressa avec plaisir autour du Thoureil. Seul sur les chemins, il lui tardait de pouvoir emmener un jour son fils à vélo à la chasse. En 1892, emballé par ce nouveau moyen de transport, Ernest inaugura la saison de la chasse avec un tricycle. Il avait jugé plus pratique cette variante du vélocipède pour aller de Mirebeau à La Touche Barrée, dans les Deux-Sèvres. Il fit faire par un menuisier un caisson qu’il accrocha à l’arrière et dans lequel il put mettre ses cartouchières et sa gibecière. Gardant son fusil en bandoulière, il pouvait en disposer plus rapidement pour s’amuser à tuer quelques grives du bord de la route. Il eut quand même quelques déboires en chemin. Le 3 Septembre, il note : « Un orage épouvantable m’a forcé de m’arrêter deux heures durant dans une boutique de maréchal isolée sur la route du côté de de Faye l’Abbesse. Mes bagages ont été consciensieusement trempés. Au final, je n’ai eu d’autre incident que la perte de mon caoutchouc sur la route du côté de Boussais. ».(10)
En 1900, après bien des déboires électoraux dans le canton mirebalais, il fut élu maire de Thoureil. Dès lors, il se consacra au bourg (11). Son tricycle était largement démodé. Il essaya une « pétrolette » , en fait, un tricycle à pétrole. Avant de l'acheter, il demanda à un de ses amis du Palais, Delabarde de faire découvrir à Marie Emilie et à son fils Paul les joies de ce nouveau type de transport. Delabarde avait une « Dion de Bouton ». Alors qu’Ernest était auprès de ses administrés au Thoureil, Marie Emilie lui écrivit : « Je te dirai qu’hier, je me suis laissé tenter par une petite course en pétrolette, dont j’ai été enchantée. Delabarde avait conduit Paul sur la route de Poitiers jusqu’à Noiron, puis au retour, jusqu’en haut de la côte de Chouppes. Comme il restait un peu de temps avant le dîner et que Delabarde proposait une autre petite course, je me suis substituée à Paul, et montant sur la route de Poitiers, je suis allée jusqu’un peu au-delà de la Croix qui est après Varennes. Mon tour a duré vingt minutes… Je trouvais qu’on filait comme le vent et je pensais que nos filles seraient bien heureuses de se faire véhiculer ainsi.»
la "Pétrolette" de De DionBouton
La famille semblaitconvaincu par les machines à moteur, Ernest n'avait plus qu'à investir dans une automobile, Ce fuit chose faite à à la fin de l'été 1901. Un véhicule léger dont je ne connais pas la marque, lui fut livrée à Poitiers. Pour la démarrer, on mit à contribution le fidèle Delabarde qui, décidément devait s’y connaître en mécanique. Il recommanda de chauffer correctement l’engin dans la cour, avant de démarrer, afin d’être sûr de passer les côtes, sans avoir trop à pousser... Ernest chargea son fils de la préparation du premier voyage. L’essai ne fut pas complètement satisfaisant. Marie Emilie l’écrivit à sa cousine : « Rendus au Palais où Ernest avait affaire, la pluie les a faits rebrousser chemin et comme en arrivant à Saint Jean, il était encore de bonne heure, Paul a proposé d’aller sur la route de Loudun. Ils ont mis 27 minutes du Palais à la moitié de la côte de Dandesigny. Là, pluie à verse… Ils retournent vers Mirebeau. Arrivés à l’embranchement de la petite route qui mène à Chouppes, surviennent deux charretées de pierre qui ne veulent pas se déranger ; alors on arrête la voiturette et on la tourne, à cause du vent en face de la côte qui commençait. Plus moyen de repartir. Pendant près de deux heures, il a fallu s’évertuer à trouver le pourquoi, enfin, ils ont fabriqué des tréteaux de bois et, après une bonne chauffe, la machine a débrayé, puis a gravi sans coup férir la côte de Chouppes et est arrivé directement à la maison »
Ayant gardé en mémoire les péripéties de sa première automobile sur la route Chouppes, une des actions d’Ernest, en qualité de maire du Thoureil, fut de faire améliorer les principaux chemins qui reliaient le village aux bourgs avoisinants. Au début de l’année 1902, son conseil vota le budget pour que le chemin vicinal qui longeait la Loire (12), soit élargi et permette ainsi le croisement de deux véhicules. En rendant libre la circulation de tous les types de véhicules, Ernest favorisa la plaisance des angevins, venant en touristes sur les bords du fleuve. Il fit même la demande d’un tramway passant par le bourg du Thoureil, au motif de désenclaver le petit port des mariniers. Le projet fut sans suite (13)..
Petit à petit, Ernest utilisa l'automobile dans tous ses déplacements de longue distance. En 1910, il fit par exemple le pélerinage de Lourdes depuis Mirebau. Sa carte-lettre du 11 Juillet, montre qu'il fit le trajet sans encombres mécaniques et en deux jours (14), via Angoulême et en faisant étape à Agen. « Nous n'avons pas eu la moindre panne, malgré les montagnes russes à travers lesquelles nous avons évolué »
Après Angoulême, il dut s'arrêter « sur la route... avec une pauvre folle... » qui voulait l'électricité. On peut imaginer que la pauvre cherchait sans doute avant tout à s'éclairer. Pour ma part, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la manière dont on nous demande aujourd'hui de faire des économies d'énergie et d'investir dans la voiture électrique pour abandonner progressivement le moteur thermique. Autre époque, ....
L'automobile à la Belle Epoque
(1) Un entier postal est un support imprimé émis par l'Administration des PTT (aujourd'hui la Poste) sur lequel est habituellement imprimé un timbre poste. ( source Wikipedia).
(2) D'après le texte du second décret du 27 septembre 1870 de la République Française , la carte-poste était un « carton d'un poids de 3 grammes au maximum, et de 11 centimètres de long sur 7 centimètres de large et portent, sur l'une des faces l'adresse du destinataire et, sur l'autre, la correspondance du public ».
(3) Elle fut créé durant le siège de Paris en 1870-1871 pour un envoi par ballon monté, alors que la première carte postale illustrée n'apparut qu'en 1873 .à Paris à l’initiative des magasins de la Belle Jardinière (source Wikipedia).
(4) En 1941 sous le régime de Vichy.
(5) Gilles Ernest Roblin est né le 8 Octobre 1855 à Mirebeau. Sa mère, Arthémise Rousseau-Laspois était issue d’une vieille famille de la Seigneurie de Parthenay, devenue mirebalaise depuis trois générations. Elle avait épousé le 15 Juin 1840, un certain Léopold Roblin, obscur receveur de l’Enregistrement et du Domaine, débarqué de sa Nièvre natale trois ans auparavant pour y remplir son emploi.
(6) Nos aïeux n’hésitaient pas à se lever tôt pour voyager.
(7) En fait un derby.
(8) La compagnie des chemins de fer d'Orléans avait la concession.
(9) Le 20 Août, il évita la grand-route qui passait par les deux villes de Montreuil-Bellay et Loudun, et traça par l’arrière-pays Thoureillais, joignant Doué-la-Fontaine, Thouars, Saint Jouin-les-Marnes et enfin Mirebeau.
(10) Cette année-là, un écossais du nom de Dunlop avait inventé « le tube creux de caoutchouc gonflé à l’air », plus connu sous le nom de chambre à air.
(11) Mandat qu'il conserva jusqu'à sa mort, survenu à Mirebeau le 30 Octobre 1923.
(12) Futur RD 132 qui vient de Gennes-Val-de-Loire
(13) Le transport fluvial qui avait fait la richesse du bourg jusqu'au milieu du XIXème siècle devait disparaître vers 1910.,
(14) Le trajet Le Thoureil- Mirebeau en derby, soit 90 kms, lui avait pris le même temps.
Belle histoire de ce passionné des transports, c'est assez amusant de voir cette quête de nouveautés et les anecdotes associées. Je ne connaissais pas les cartes-lettres!
Gilles Ernest aurait surement aimé testé nos nouveaux moyens de transport, même si ce ne sont que des améliorations de ceux qu'il a connus 🙂