La veille de la nuit sainte
Le soir du 31 Octobre, la tradition d'Halloween veut que les enfants, en quête de friandises, se métamorphosent en fantômes, sorcières, vampires, ou encore squelettes. Ils errent dans les rues, frappant aux portes des maisons dans l’espoir de remplir leurs sacs de trésors sucrés. L’an dernier, en ouvrant ma porte, je suis tombé nez à nez avec un jeune masqué, arborant une tête de mort. Je me suis soudain rappelé ce cousin breton, Frédéric Auguste Huon de Kermadec, dont j’avais eu la surprise de découvrir le « chef » dans la cathédrale de Saint Pol de Léon en 2021.
Halloween, dont le nom signifie « veille de la nuit sainte » (1), se révèle être plus qu’une simple soirée festive. C’est la veille de la Toussaint, suivie de la commémoration des fidèles défunts dans la tradition catholique. C’est pourquoi, j’ai établi un lien entre cette soirée particulière et le souvenir de mon lointain cousin.
Boîte à crâne d'Auguste Frédéric
(archives personnelles)
Frédéric Auguste, résident des étagères de la nuit
Frédéric Auguste est l’un des 32 résidents perpétuels des « étagères de la nuit » (2), une curiosité insolite que l’on trouve en Bretagne (3). Ces étagères sont situées dans le bas côté sud de la cathédrale Saint Pol-Aurélien. Elles abritent d’étranges boîtes, rangées sur trois niveaux dans une niche. Ces boîtes ressemblent à de petites chapelles surmontées d’une croix et sont protégées par une grille. Leur façade est percée d’une petite fenêtre, souvent en forme de cœur. Chacune d’entre elles est de couleur noire, blanche ou bleu nuit. A l’intérieur, repose le crâne d'une personne ayant vécu dans la commune, et le nom de cette personne est précisé sur le fronton de la boîte. On les appelle aussi « boîtes à crâne ».
Les Huon de Kermadec, natifs de Saint Pol de Léon
Au début de l’année 2021, ma femme et moi avons décidé de profiter d'un déconfinement post-covid pour prendre l’air à Roscoff dans le Finistère. Entre deux randonnées le long du littoral, nous avons opté pour une visite guidée de Saint Pol de Léon, ville située à proximité du port breton. Je savais que ma grand-mère maternelle, Anne Marie Huon de Kermadec était née là-bas en 1895. Son père, le Comte Georges Huon de Kermadec, chef du nom et d’armes (XVIIème génération), également originaire de Saint Pol, avait été adjoint au maire de la commune, avant de quitter définitivement le Léon avec sa famille pour s’installer dans le Poitou.
Lors de cette visite, j’ai fait une découverte plutôt inhabituelle
Notre guide, à qui je partageais ces quelques informations sur ma famille, nous dirigea d’abord vers la mairie. Là, dans l’escalier monumental, une plaque commémorative porte le nom de Casimir Huon de Kermadec, mon trisaïeul du côté maternel. Il avait été le premier magistrat de la commune en 1867 et s'est éteint à Saint Pol en 1888.
Liste des maires de Saint Pol de Léon
(archives personnelles)
Nous fîmes ensuite un détour par le cimetière, où je relevais sur un certain nombre de vieux marbres funéraires, le blason des Huon de Kermadec, témoignant de leur longue présence dans la région. Il nous emmena enfin visiter la cathédrale Saint Pol-Aurélien, où je découvrais, entre autres trésors, le crâne enchâssé de mon lointain cousin dans une des fameuses boîtes, découverte que certains n’hésitent pas à qualifier de « gothique » sur la toîle (4).
Blason des Huon de Kermadec et des Lesguen
(archives personnelles)
Riches et pauvres à égalité
Notre guide nous raconta qu’avant le XVIe siècle, les plus riches avaient coutume d’être inhumés dans la cathédrale. Cependant, au fil du temps, les places se firent de plus en plus rares. À la fin du XVIIIe siècle, l’évêque interdit les inhumations à l’intérieur de l’église. Les cimetières manquèrent bientôt de place aussi. Une nouvelle pratique s’imposa alors : après cinq ans, une fois les chairs décomposées, les corps étaient placés dans des fosses communes mais on prenait soin de retirer les crânes des défunts et de les déposer dans des boîtes. Ces boîtes étaient alors restituées aux familles ou selon, déposées sur des étagères à l’intérieur des églises. La tradition perdura jusqu’au milieu du XIXème siècle où riches et pauvres se retrouvèrent un temps à égalité. Sur les étagères, on peut voir ainsi la boîte de Hamon Barbier, un riche seigneur qui construisit le château de Kerjean, voisinant avec un certain Claude Le Lann, un simple sabotier. Vint ensuite le temps des concessions…
Enquête généalogique
Mais qui était donc Frédéric Auguste ? Reposant dans sa dernière demeure aux côtés d’un ancien recteur et d’un inconnu décédé en 1791, je me suis demandé s’il était riche ou pauvre au moment de sa mort. Pour en savoir plus, j’ai entrepris une petite enquête sur l’arbre généalogique des Kermadec grâce à un ouvrage de référence sur cette ancienne famille, intitulé « l’Histoire généalogique de la maison Huon de Kermadec » (5). A la page 230, j’ai trouvé ce petit résumé :
« Frédéric Auguste est né à Brest le 18 Janvier 1776, fils puiné de François Pierre et de Marie-Madeleine Calemard de Gineslous (6).
Frédéric entra au collège de Vannes le 25 Mai 1767 en qualité d'élève du Roi. Sous la pression de l'opinion publique peu favorable aux « officiers rouges » (7), sortis du Corps des Pages ou des Ecoles Royales de Marine, Louis XVI supprima les Gardes Marines en 1786. Les futurs officiers désormais dénommés « Elèves de Marine » furent dispersés comme pensionnaires du Roi, dans divers collèges situés à proximité des frontières maritimes du royaume. Après deux ans d'études, le 1er Août 1789, Frédéric passa de la 3ème à la 2ème classe.
Surviennent les évènements de la Révolution et dès lors on perd peu à peu sa trace. En 1790, il embarque à bord de la Sincère (Capitaine Monsieur de Villéon). La même année, il passe sur le Barbeau (Capitaine monsieur Dupleix) et fait campagne sur les côtes d'Europe. En 1791, il est aux ordres de Monsieur d'Entrecasteaux à bord du Patriote. »
Emigré ?
Ou vécut Frédéric Auguste après 1791 ? Dans quelles conditions ? Ces informations demeurent obscures. Il est possible qu’il ait trouvé refuge aux environs de Brest, de Landerneau ou de Morlaix. Un placard officiel daté du 5 Septembre 1798 dénonce les Emigrés du département du Finistère. Parmi les noms, on relève le suivant : « Huon Bohars Origine : Landerneau ». Cette mention ne peut s'appliquer qu'à Frédéric, seul représentant masculin alors de cette branche des Huon de Kermadec, dite des Bohars (8), à cette date. Cependant, Frédéric Auguste n'était pas originaire de Landerneau, mais était né à Brest.
Les listes d'émigrés n'étaient pas toujours précises. Selon, les auteurs de l’ouvrage sur les Huon de Kermadec : « A notre connaissance, aucune des personnes citées dans cette liste n’avait émigré. Cette liste est l’œuvre d’un dénonciateur calomnieux » (page 254). Si Frédéric Auguste a toutefois émigré, il revint un jour au pays. Sans alliance, il vint peut-être s'installer près de son petit cousin Casimir à Saint Pol de Léon. Il y est décédé le 22 Octobre 1834 à l'âge de 58 ans. Avait-t-il fait fortune ? Son acte de décès précise qu’il était propriétaire, ce qui laisse supposer qu’il avait une certaine rente. Je n’en sais toutefois pas plus.
Acte de décès de Frédéric Auguste Huon de Bohars
(extrait des actes décès Saint Pol de Léon AD Finistère - Penn-ar-Bed )
Arbre de descendance de Vincent Huon de Kermadec et de Marie Renée de Lesguen, dont
Frédéric Auguste Huon de Bohars
In memoriam
La branche des Bohars s'éteignit avec Frédéric Auguste. En ce qui concerne son héritage historique, Frédéric Auguste n’a pas laissé de traces marquantes, contrairement à de nombreux membres de sa famille au XVIIIème siècle. Le plus connu est sans doute son cousin germain, Jean Michel Huon de Kermadec, Il commanda l'Espérance, une des frégates partie à la recherche de La Pérouse en 1791. Cependant, la découverte du « chef » de Frédéric Auguste dans la cathédrale de Saint Pol de Léon m’a autant ému que si j’avais découvert la tombe de son illustre cousin, quelque part dans le lointain Pacifique (9).
Notes
(1) A l’origine, Halloween était « Samain », une fête créée par les Celtes pour célébrer la fin de l’automne et l’entrée dans une nouvelle année. Déclarée paienne par les chrétiens au VIIème siècle, cette fête de fin Octobre resta ancrée dans les traditions populaires irlandaises. Lorsqu’ils émigrèrent en masse outre-Atlantique au XIXème siècle, les Irlandais importèrent leurs croyances et célébrations. Ils donnèrent alors à Samain le nom d’Halloween, dérivé de « All Hallows Even » qui signifie « veille de la nuit sainte », veille de la Toussaint.
(2) C'est un prêtre du diocèse de Quimper et Léon, Yves-Pascal Castel, féru d’art, qui donna à cette collection macabre le nom plein de poésie : «les étagères de la nuit». Elles furent aussi décrites par des écrivains célèbres : Gustave Flaubert ou Prosper Mérimée. Enfin, elles furent classées aux Monuments Historiques le 23 Février 1987.
(3) Le guide de la Bretagne mystérieuse de Gwenc'hlan Le Scouëzec concentre ainsi une foule de curiosités à découvrir à l'occasion d'un séjour dans la Région.
(4) Voir aussi la vidéo : Les Étagères de la Nuit - CuriOsity #28 - YouTube
(5) « l’Histoire généalogique de la maison Huon de Kermadec », co-écrite par Hervé Huon de Kermadec (XVIIIème génération) et son fils Alain, notamment en 1941.
(6) Ils eurent trois enfants : Jean Marie Raymond (1765 - 1786) mort sans postérité, Frédéric Auguste et Marie Louise Cécile (1769 - 1812)
(7) En fait, les officiers nobles portaient un uniforme bleu et rouge, les différenciant des « officiers bleus » roturiers.
(8) Branche cadette des Huon de Kermadec (XIIIème génération bis) qui n'eut qu'une existence éphémère. de moins de cent ans, Le père de Frédéric Auguste, François-Pierre, en est le fondateur. Il est dit le chevalier Huon de Bohars, du nom d'une terre située dans la paroisse de Bohars..
(9) Jean Michel Huon de Kermadec succomba aux fatigues de l'expédition en Mai 1793 et fut enterré sur l'îlot de Poudouié dans le hâvre de Balade. C'est une des îles située à l'intérieur du récif barriéré du Nord de la Nouvelle-Caldédonie. Ces îles sont proches de la célèbre fosse océanique qui porte aujourd’hui le nom des Kermadec.
Bravo pour tes recherches , Nous t'encourageons à continuer pour nous faire progresser dans la connaissance de nos ancêtres.
Bonjour Régis ! Très intéressant et captivant !
Hâte de lire les autres épisodes ;o)
Bises, Fabrice Guillemin
Salut Régis ! Merci beaucoup pour cet article sur "Les boîtes à crânes"... Très intéressant à lire et surtout très instructif... Bises de ta soeur Maryelle💐
Bravo Régis, superbe article truffé d'anecdotes et de curiosités! Je ne connaissais pas les boîtes à crânes, façon originale de préserver le souvenir, et qui prend effectivement peu de place. Article très bien structuré, bravo.
Merci pour cet article instructif. J'ignorai l'existence des boites à crânes. Cette pratique permet de conserver le souvenir des défunts contrairement aux fosses communes où ils sont enterrés dans l'anonymat.