Les premiers souvenirs d'enfance de ma mère, Monique ROBLIN à Montmorillon
- Régis COUDRET

- 31 mai
- 10 min de lecture

Préambule
Ce mois-ci, j’aimerais vous raconter quelques souvenirs d’enfance que ma mère, Monique ROBLIN, avait en mémoire vers la fin de sa vie. En général, les premiers souvenirs d’ enfance, ceux qu’on appelle autobiographiques, peuvent dater de l’âge de 3 à 4 ans. La plupart du temps, les souvenirs que ma mère me raconta, tournaient autour de rencontres familiales bien précises. Comme tous ces évènements se déroulèrent avant que ma mère n’ait cinq ans, j’en ai déduit qu'elle les avait reconstitués, à partir d’évocations faites par son entourage. Elle ne m’en a d’ailleurs jamais parlé de façon structurée, mais par fragments, au gré de conversations. J’ai gardé ainsi quelques éclats de son baptême, de la sépulture de sa mère et de deux mariages. Des images fugitives qu’elle fit surgir, comme ces photos anciennes que le soleil efface peu à peu, sauf un détail qui reste et qui parle encore.
Ce jour-là, au 20 rue Grandmont
Ma mère est née le 30 Septembre 1921 à Montmorillon, sous-préfecture du département de la Vienne. C’était un Vendredi matin. Ce jour-là au 20, rue Grandmont ma grand-mère, Anne-Marie, née HUON de KERMADEC, peina pour la mettre au monde [1].
Paul ROBLIN alla dans l’après-midi déclarer son enfant à la mairie. L’officier de l’Etat civil inscrivit comme prénoms Marie Monique sur son registre. Il souligna le prénom Monique en bleu, avec un crayon gras épais pour insister sur le nom d’usage. Sur le livret de famille, il y avait déjà cinq autres prénoms : l’aînée, Gabrielle, dite Gaby, allait sur ses huit ans. Suivaient les deux garçons de la famille, Georges et Paul, respectivement cinq et quatre ans. Puis Anne, de son deuxième prénom Victoire, car elle était née en Novembre 1918 et enfin, Marguerite qu’on surnomma Guite. Elle précédait ma mère d’une année.
Satisfait, Paul se rendit ensuite, comme tous les jours de la semaine, au Palais de Justice, où il exerçait la profession d’avoué au tribunal civil, depuis sa démobilisation en Janvier 1919.

Le baptême de Monique
Quelques jours plus tard, eut lieu le baptême de Monique. Bien sûr, ma mère ne pouvait pas s’en souvenir. Mais elle accepta un jour de reconstituer le nom des personnages qui figuraient sur une photographie de cette fête familiale, extraite d’un vieil album de famille.
Après la cérémonie, on avait organisé une petite réception, au 20 rue Grandmont. Et l’après-midi, on posa pour une photo de groupe dans le jardin. Du côté des ROBLIN, étaient présents Ernest et Emilie, les aïeux de la famille ainsi qu’Henri et Marie Emilie, frère et sœur de Paul. La journée était belle pour un début d’Octobre, donnant à ces dames l’occasion de sortir leurs nouveaux chapeaux, mais aussi de découvrir leurs bras. On était en plein dans les « Années folles » et les femmes commençaient à s’émanciper, même dans ce milieu très conservateur. De leur côté, les hommes avaient abandonné la redingote d’avant-guerre et adopté le complet veston, plus moderne. Guite, qui ne marchait pas bien encore, avait eu droit à des chaussures toutes neuves pour assister au baptême [2]. Gaby et Anne avaient choisi chacune leur plus belle robe et portaient comme il se doit, leur médaille de baptême. Quant aux garçons, deux d’entre eux arboraient encore le col marin de la « Belle époque » qui avait précédé la Grande Guerre.
Montmorillon n’était qu’à une quarantaine de kilomètres de Poitiers et relié par une ligne de chemin de fer, permettant ainsi à trois des frères d’Anne-Marie HUON de KERMADEC de faire le déplacement dans la journée. Olivier, Yves et Hervé, étaient présents avec leurs épouses et leurs enfants. Notamment Simone, la fille aînée d’Hervé et de Marie [3]. Il manquait l’aîné, Régis HUON de KERMADEC, devenu Comte et Chef d’armes depuis la mort de leur père Georges, l’année précédente. Alain, son frère puîné, également absent, était représenté par Mercédès [4], une de ses filles. A l’âge de dix ans seulement, elle avait accepté d’être la marraine de Monique. Ma mère me raconta que Mercédès l’avait portée sur les fonts baptismaux de l’église Saint Martial de Montmorillon. Seul souvenir qu’elle avait pu se constituer de son baptême, à partir de ce qu’on lui avait raconté de la cérémonie. En guise de cadeau, maman avait reçu un lit d’enfant. Il en restait encore des morceaux rouillés dans le grenier du Thoureil, il y a quelques années. Ils avaient suivi maman toute sa vie.

Monique avait tout juste onze mois

Alors qu’elle se remettait à peine de son dernier accouchement, Anne Marie ROBLIN « se retrouva dans une situation intéressante ». Autrement dit, elle tomba à nouveau enceinte au début de l’année 1922. Ma mère fut alors confiée à une nourrice, Alexandrine, qui prit également en charge Anne et Guite.
Anne Marie mit péniblement au monde une petite Jehanne, le 12 Août 1922. Mais sans doute épuisée par ses grossesses successives, elle ne se releva pas de ses couches. Elle expira le 31 Août, à l’âge de 37 ans. Monique avait tout juste onze mois. Sa petite sœur rendit l’âme peu de temps après, le 19 Novembre Anne Marie ROBLIN et son dernier enfant furent enterrées à Montmorillon [5].
Plus tard, Monique chercha à en savoir plus sur sa mère. Son entourage la lui décrivit comme très douce et dévouée toute sa vie à son mari et à ses enfants. Lorsqu’elle me raconta le peu qu’elle savait de sa mère, maman garda de longs silences. Elle ne trouvait pas les mots pour combler le vide laissé par sa disparition. Elle savait seulement que sa mère lui avait choisi le prénom de Monique mais ne sut jamais la raison de ce choix [6].
Alexandrine, dite « Dine »
Paul se retrouva seul avec ses six enfants. Très vite, la solidarité s’organisa autour de lui. Les aînés, Gaby, Georges et Paul furent accueillis à Poitiers chez leur oncle Hervé HUON de KERMADEC. Georges et Paul purent ainsi faire leur rentrée au collège Saint Joseph de Poitiers et Gaby rejoindre l’institution du Sacré Cœur. D’après maman, son père ne voulut pas longtemps de cette « solidarité familiale ». L’atmosphère n’était guère chaleureuse : les KERMADEC considéraient que Paul n’avait pas laissé beaucoup de répit à son épouse entre deux grossesses.
La sœur aînée de Paul ROBLIN, Marie Emilie, qui était célibataire, vint bientôt s’installer rue Grandmont. Elle prit en charge l’éducation des trois cadettes ainsi que la tenue de la maison.

Comme Marie Emilie était à cheval sur l’étiquette, les fillettes préféraient de loin être avec leur nourrice Alexandrine, dite « Dine ». De sa prime jeunesse à Montmorillon, Dine était sans doute le meilleur souvenir de ma mère. Au soir de sa vie, le visage de maman s’éclaira soudain lorsqu’elle m’en parla : « Une grande femme très mince », me dit-elle. Elle se souvenait par exemple de Dine « se cassant la gueule » dans le jardin, s’étalant de tout son long dans le panier de linge qu’elle portait. Maman, en se remémorant l’incident, s’était mise à rire comme une gamine. Elle se souvenait d’autres détails, comme le fait qu’il y avait un petit bosquet avec des fraises dans le jardin rue Grandmont. Il y avait aussi un potager dans lequel elle accompagnait Dine et Georgette la cuisinière. Elle les aidait à récolter les haricots. Ma mère était d’ailleurs plus souvent dans la cuisine de Montmorillon que dans le salon ou la salle à manger avec son père et sa tante. C’est là qu’elle prenait la plupart de ses repas avec Guite et Anne, sans oublier le petit chat de la maison, « minette », qu'elle adorait.
Il faut dire que lorsqu’elles y étaient invitées, l’ambiance à table avec son père et sa tante ne devait pas être d’une folle gaieté. En 1923, Paul et sa sœur qui venaient à peine de quitter le deuil d’Anne Marie, perdirent leur père, Ernest le 30 Octobre, puis presque simultanément leur petit frère, Henri, emporté par la tuberculose le 11 Décembre [7]. On arriva ainsi en 1925.
Les « petites dernières »
Cette année-là, le 25 Mars, mon arrière-grand-mère Emilie ROBLIN, née JOUBERT, nota dans un carnet: « Mon cher Paul a pris une grande détermination… Il a résolu de refaire son foyer. Dieu qu’il prie toujours avec une fervente confiance dans toutes les circonstances importantes de sa vie, semble bien lui avoir fait trouver une jeune fille, digne de devenir une seconde mère pour ses enfants. »
Paul avait effectivement pris la résolution de se remarier, suivant en cela les dernières volontés de son épouse et d’autre part, les recommandations de son confesseur. Monseigneur DURFORT, évêque de Poitiers, lui avait vanté les qualités d’une femme, qu’il connaissait de longue date, étant lui-même très lié à sa famille. Une rencontre fut d’abord organisée entre Emilie et la candidate : Yvonne Marie Josèphe Jeanne de LA MONNERAYE, né à Pontvallain dans la Sarthe le 30 Août 1890. Elle avait alors 34 ans. Ce préliminaire eut lieu à l’Evêché. Emilie était accompagnée de sa petite fille, Marguerite. Emilie décrivit Yvonne à son fils, comme étant « fort distinguée », ce qui voulait dire raffinée, et, chose peut-être la plus importante à ses yeux : « elle a été élevée dans des principes sérieux et religieux que nous aimons. Adopter tous nos chers petits ne lui coûte nullement. D’ailleurs elle les trouve ravissants surtout l’aînée, Gabrielle ».
Furent ensuite organisées des entrevues et des promenades en automobile. Paul put faire sa cour à maintes reprises. Sa persévérance toucha Yvonne, qui finit par lui dire oui au dernier jour d’Août. Les fiançailles furent célébrées le 5 Octobre à Laval en présence de Marie Emilie. La sœur de Paul fit ainsi davantage connaissance avec Yvonne. Monseigneur DURFORT, qui avait dû s’éclipser au dernier moment pour « assister aux fêtes données à Alger en l'honneur du Cardinal LAVIGERIE », unit par procuration Paul ROBLIN et Yvonne de LA MONNERAYE le 25 Novembre 1925 à la cathédrale de Laval. Le Doyen de la cathédrale officia et lut aux nouveaux époux, une lettre de bénédiction du Saint Père ainsi que l’homélie de Monseigneur DURFORT. Anne, Guite et Monique, ne furent pas invitées à la cérémonie, ni à la réception qui suivit.
Dès le lendemain, Yvonne gagna Biarritz et le pays basque avec son époux, pour leur voyage de noces. A l’aller, elle fit cependant étape chez Emilie ROBLIN à Mirebeau, à côté de Poitiers. Pour autant, elle n’y rencontra pas ses « chers petits ». A leur retour, le couple fit un détour par Poitiers. Yvonne y fit la connaissance des aînés, notamment de Gaby. Enfin, elle s’arrêta avec son époux à Montmorillon où l’attendait Marie Emilie et les « petites dernières ». Marie Emilie commença à l’initier aux habitudes de la maison, qu’elle-même avait instituées. Maman avait alors un peu plus de quatre ans. Son père lui avait manqué, me dit-elle, mais l’arrivée de sa belle-mère dans la maison ne lui laissa aucun souvenir.
La traîne de la promise

A la même époque, sa tante Marie Emilie avait reçu une proposition de mariage d’un veuf, le docteur Léon LAPOMMERAY [8] établi à Bordeaux. Paul fit sa connaissance. Ils causèrent beaucoup ensemble, et il lui trouva une conversation très intéressante. Ainsi, Marie Emilie put le revoir régulièrement. Tout le monde constata sa bonté, la délicatesse de ses sentiments. De Montmorillon, Marie Emilie multiplia les correspondances avec lui, et leurs échanges répétés finirent par décider Marie Emilie. A 43 ans, elle accepta sa proposition. Le mariage fut célébré par l’archiprêtre Monseigneur PENNIER en l’église Saint Martial de Montmorillon.
Cette fois-ci les petites ne furent pas oubliées. Marie Emilie avait en effet choisi comme demoiselles et garçons d’honneur ses nièces et neveux. Maman me raconta qu’elle se souvenait très bien d’avoir porté la traîne de la promise avec sa sœur Guite. Le chœur de l’église était décoré avec des branches de sapins, alternant avec des lys. Monique se souvenait que la robe de la mariée scintillait de mille feux. J’ai imaginé que c’était grâce à la « Fée électricité ». En effet, Montmorillon venait tout juste d’être électrifiée. Le cortège devait être éclairé avec les toutes nouvelles ampoules électriques [9]. Même s’il y avait peu de personnes à son mariage (environ 25 personnes), aux dires de sa grand-mère Emilie : « Ce fut un moment de grande émotion. Ma fille aînée rayonnait de bonheur comme une jeune fille de vingt-cinq ans ». A la manière dont ma mère me parla de ce mariage, j’imagine que cet évènement constitua pour elle un vrai souvenir d’enfance. Ma mère avait eu enfin l’occasion d’être mise en lumière, d’exister.
Epilogue

Fin 1926, le tribunal de Montmorillon fut transféré à Poitiers, obligeant Paul ROBLIN à faire de fréquents voyages entre les deux villes pour son travail. Aussi songe a-t-il bientôt à changer de résidence. De plus l’éducation de ses enfants, qu’il ne voulait confier qu’aux établissements que lui-même et sa famille avaient déjà fréquentés, lui était un motif suffisant pour quitter Montmorillon. Mais la difficulté de trouver un logement digne du rang de sa seconde épouse retarda la réalisation de ce projet. Du coup, ma mère commença en 1927 sa première année scolaire dans l’institution Saint Martial, un petit établissement privé de Montmorillon. En fin d’année, sa sœur Guite y fit sa première communion. Ce fut la dernière fête familiale à Montmorillon avant que Monique ne quitte définitivement la petite ville de son enfance, à la rentrée 1928. Cette année-là, Dine fut congédiée. Mais ma mère garda le contact avec sa nourrice jusqu’à sa mort, survenue après la guerre.
Notes de fin
[1] D’après un courrier du 5 Octobre 1921 de la directrice de l’école des filles du Thoureil, Anne-Marie peinait à se remettre. Aussi ses 32 élèves prièrent pour elle.
[2] Ce qui, j’imagine, ne lui laissa pas un excellent souvenir de la journée.
[3] La future Comtesse Gaston de FONTMICHEL qui fut aussi ma marraine. Elle eut un fils, devenu maire de Grasse.
[4] Mercédès, née le 25 Juillet 1911 à Paris épousa Marc de LESQUEN du PLESSIS CASSO.
[5] La stèle d’Anne Marie et de Jehanne était encore visible en 2006, comme en témoigne ma sœur Maryelle en dédicace d’un petit album qu’elle offrit à maman et qui s’intitule « Souvenir de Montmorillon »
[6] Sainte Monique était réputée être la protectrice des mères. Dans cette partie du Poitou catholique et superstitieuse, peut-être ma grand-mère avait-elle choisi ce prénom d’usage pour remercier la mère de Saint Augustin du bon déroulement de l’accouchement ? Malheureusement, cette possible invocation ne lui porta pas chance en 1922.
[7] Celui-ci venait tout juste d’épouser Marie de FONT REAULX, d’une vieille famille de Montmorillon.
[8] Le docteur LAPOMMERAY avait 54 ans le jour de son remariage, le 9 Février 1926. Il avait un fils qui avait 20 ans. Marie Emilie avait fait la connaissance de son futur époux chez sa cousine Charlotte PERSON de CHAMPOLY, Il appartenait à une famille poitevine qui leur était intimement lié.
[9] En 1926, Montmorillon fut la dernière commune de la Vienne a être électrifiée, faisant de ce département, le deuxième après Paris à profiter de ce nouvel éclairage. A l’époque, seule une commune sur deux en France était reliée au réseau électrique. Il fallut attendre les années 1950 pour que la France soit entièrement électrifiée.





En voyage en train je viens de lire ton recit sur les souvenirs de ta maman.
J'ai beaucoup apprécié et le voyage m'a semblé plus rapide.
Bravo contiue tes intéressantes recherches et écrits.
Cher Régis
Enfin j'ai pu prendre le temps de lire un peu de l'histoire de ta mère
J'ai été très touché parce que j'aimais beaucoup ta maman et que l'histoire du début de sa vie est marquant pour une petite fille à l'image un peu de celle de Chantal.
C'est vraiment chouette et important de pouvoir ainsi communier à la vie de son parent.
Nous vous embrassons tous les deux
Pierre
Bonjour Régis,
A l'instant, j'ai lu avec plaisir les souvenirs d'enfance de ta mère. Ils sont très précis. Tu as eu la chance de pouvoir interroger ta mère à ce sujet. C'est important de conserver la mémoire de sa famille. Et une mère est irremplaçable.
Merci à toi.
Bien cordialement,
Jean-François