La commune du Thoureil avec un « h »
De 1790 à 1840, le bourg du « Toureil » sur les bords de la Loire était constitué en commune avec les hameaux voisins de Bessé et de Saint-Maur. Ils furent ensuite rattachés à la commune de « Saint Georges-le-Toureil » [1], située à l’intérieur des terres. pendant 33 ans. En 1873. le Conseil municipal rendit son indépendance à l'ancienne bourgade. Elle prit alors le nom du Thoureil, écrite avec un « h » [2].
Dans son Dictionnaire historique du Maine et Loire, l'archiviste Célestin PORT rapporte que « la commune du Thoureil était pourvue en 1876 de deux écoles, celle laïque des garçons et l’école communale des filles, tenue par les sœurs de la Providence de la Pommeraye ». Le Thoureil appliquait ainsi les lois GUIZOT de 1833, puis FALLOUX de 1850. Ces lois avaient fixé que toutes le communes de France devaient avoir obligatoirement une école de garçons et une école de filles pour « celles qui en ont les moyens ».
En fait, si les habitants de l'ancienne « partie haute » de Saint Georges-le-Toureil étaient bien pourvus en écoles pour garçons et filles [3] depuis 1853, les résidents de la « partie basse », avaient dû se contenter d'une Maison d’Ecole ouverte au début du Second Empire.
Lorsque le principe de laïcité [4] prit vraiment effet dans l'enseignement public en 1886, avec l'interdiction faite aux religieux d'y exercer [5], les habitants favorables à l'ouverture d'une école libre au Thoureil se firent de plus en plus nombreux. C’est dans ce contexte que mes aïeux, Henri JOUBERT et son épouse Marie Aloysia BARBIER, vinrent s’installer définitivement au Thoureil. Ils prirent une part active dans cette croisade contre l'école de la République, bientôt rejoints par leur gendre Gilles Ernest ROBLIN et son épouse Marie Emilie JOUBERT.
La Maison d'Ecole de Richebourg au Toureil
En 1855, la commune de Saint Georges-le-Toureil avait souhaité « établir une école primaire des deux sexes dans la section cadastrale du Toureil », afin de limiter l’éloignement des écoliers des hameaux de Bessé, de Saint Maur et du bourg du Toureil de la « partie haute » de la commune. Le Conseil municipal de l’époque se mit d’accord pour trouver une maison sur les bords de Loire qui servirait d’école.
Le 20 Novembre 1858, « Monsieur Marie Joseph Victor de Caix, Comte de Saint Aymour, propriétaire, ...» vendit à la commune de Saint Georges-le-Toureil une maison située « au village du Toureil » au lieudit de « Richebourg ». La description des bâtiments de cette maison correspond à celle d’une ferme cossue de l’époque., le tout « joignant au nord le chemin latéral à la Loire, au midi le sentier du coteau sur lequel les dits immeubles ont une sortie par un portail ». Le 13 janvier 1859 Auguste Maurice CHEVERT, Juge de Paix du canton de Gennes, signa le procès-verbal d’enquête publique. Personne ne se préoccupa alors vraiment de l'aménagement des locaux en classes. Aucune opposition ne se manifestant par ailleurs, l’avis du Sous-Préfet fut positif. La Maison d'Ecole de Richebourg fut donc ouverte au Toureil. On nomma un premier instituteur. Celui-ci n'était pas grassement payé, mais il reçut un complément de rémunération de ses élèves les moins pauvres ou des provisions de bouche.
L'école buissonnière
Dès 1856, un « état des enfants... de 7 à 13 ans » fut établi. On constata un absentéisme important. Les registres mentionnent l’éloignement ou l’indifférence comme principale raison d’absence. Par ailleurs, les motifs d’absence pour les vendanges pouvaient aller jusqu’à un mois. Cette propension des enfants du Toureil à pratiquer l'« école buissonnière » était sans doute liée au fait que l'école n'était ni obligatoire, ni gratuite mais aussi à deux autres facteurs plus autochtones. Malgré la loi FALLOUX qui faisait la part belle à l'enseignement confessionnal, beaucoup de résidents de la « partie basse » n’avaient pu se résoudre à ce que leurs filles côtoient des garçons dans une même cour de récréation. Par ailleurs, même si les documents manquent avant les années 1880, les locaux affectés n'étaient sans doute pas appropriés pour une école. Ne pouvant rien pour les garçons, les habitants des bords de Loire continuèrent néanmoins d’envoyer leurs filles jusqu’au bourg de Saint Georges-le-Toureil. Une « école de filles desservie par une communauté religieuse » y avait été fondée en 1853 [6]. A l’époque, la communauté choisie avait été celle des sœurs de la Providence de La Pommeraye [7].
La sécession du Toureil
Le 24 Août 1869, les représentants de la « partie haute » présents au Conseil municipal de la commune, cherchèrent, au nom d’un « principe d’équité » dont on ignore aujourd’hui les fondements, à priver la communauté religieuse de la Pommeraye de la Direction de leur école. L’autre partie du Conseil s’en émut. Elle eut recours à l’autorité de l’Etat pour maintenir « à la communauté de la Pommeraye la mission qui lui avait été confiée ». Les pétitionnaires firent observer au Préfet que la commune avait fait, pour l’appropriation des locaux donnés, le sacrifice d’une somme de trois mille francs environ. D'autre part, la venderesse des biens s’était réservée le droit de récupérer ladite propriété « pour le cas où une école tenue par des religieuses ne serait plus établie dans la maison ». Le Préfet leur donna raison.
Cet épisode n’était de toute façon que la dernière représentation de vieilles rancunes, quelquefois « clochemerlesques » [8], qui opposaient les résidents du bord de Loire et ceux de la « partie haute » de la commune. Dès l’avènement du chemin de fer sur l’autre rive de la Loire en 1840, les habitants de Saint Maur, du Toureil et de Bessé, descendants de mariniers [9] , s’étaient senti dans un « déplorable état d’isolement » et « spoliés du chemin de grande communication » qui aurait dû les relier à Gennes et à Saint Rémy-la-Varenne [10]. Ils se sentaient d’autant plus frustrés d’être ainsi mis de côté que, depuis quelques années, la commune avait obtenu qu’une vraie digue [11] vienne les « sauver des eaux » [12] de la Loire. Il était même envisagé en 1869 l’élargissement du chemin établi sur la levée, de façon à ce que les chariots puissent manœuvrer et faire demi-tour. Mais les coûts induits par ces travaux d’élargissement, s’ajoutant à ceux récents de la digue ne pouvaient que déplaire à la partie haute de la commune. Ils exacerbèrent les dissensions au sein du Conseil municipal et aboutirent à une division des deux parties.
L’immense majorité de la commune désirant cette sécession, celle-ci fut soumise à l’appréciation du Conseil municipal. Lors de la séance du 16 mai 1870, le Conseil donna à l’unanimité, son adhésion au projet. Il s’adressa à Monsieur le Préfet [13] pour qu’il veuille bien hâter le processus. Mais le Second Empire fut englouti quelques mois après dans la défaite de Sedan, remettant la solution définitive entre les mains de nouveaux élus ... trois ans plus tard.
Le terrain de « la Taudière » au Thoureil
En 1873, la commune du Thoureil fut donc créée. L’école y était encore ouverte « aux deux sexes ». Mais dès le 24 Juin 1874, le Curé et le Président du Conseil de la Fabrique, à savoir mon trisaïeul Henri JOUBERT, obtinrent que l’école fût dédoublée. Les filles qui fréquentaient l’école restèrent dans le bâtiment principal avec une religieuse de la Providence pour institutrice. Quant aux garçons, ils s’installèrent à côté dans une petite maison louée [14] avec leur instituteur.
Malgré cette séparation des genres, beaucoup de jeunes filles du Thoureil continuèrent d’user leurs sabots pour rejoindre l’école de la Pommeraye, loin de chez elles.
Au début des années 1880, les lois Jules Ferry [15] rendirent officiellement l'école laïque, mais surtout l'école primaire obligatoire et gratuite pour tous. Les temps changeaient, Les exigences de salubrité et de confort également. Un rapport explicatif sur la commune de 1884 mentionne que : « La population scolaire est de 72 élèves des deux sexes. On peut dire que cette commune ne possède actuellement aucune école. Pour les garçons, malgré le bon vouloir de l’administration municipale, la commune n’a pu louer qu’une petite maison beaucoup trop étroite, humide et mal aérée dans laquelle l’air et le soleil ne sauraient pénétrer. Si la classe présente de graves inconvénients et de réels dangers pour la santé des élèves et du maître, il en est de même du local de l’instituteur dont la plus grande partie n’est pas habitable. Par ailleurs les préaux couverts et découverts font totalement défaut. L’école des filles est installée dans la propriété communale qu’il s’agit d’affecter au groupe projeté. Les bâtiments qui abritent actuellement le personnel de l’école et les élèves, sont dans un tel état de vétusté depuis longtemps, on ne peut guère les réparer utilement. D’ailleurs les masures actuelles n’ont jamais été appropriées pour une école et la construction de bâtiments nouveaux s’impose aussi bien pour l’école des filles que pour l’école des garçons ».
Le conseil municipal du Thoureil décida donc de l’aménagement de la Maison d’Ecole de 1859, suivant les nouvelles instructions du Ministère de l’Instruction publique. Le projet incluait l'élévation d'une façade donnant sur les quais, regroupant à gauche l’école des filles et à droite celle des garçons, Il fut soumis à enquête auprès des habitants comme en 1859. Un certain nombre d'habitants tentèrent de s'y opposer. Henri JOUBERT fut leur porte-parole. Dans un courrier adressé au Conseil municipal, mon ancêtre montre les problèmes techniques qui pourraient être rencontrés :
« Le terrain sur lequel la construction est projetée, offre un grave inconvénient par suite du voisinage de la Loire, … La situation de ce terrain est telle ..., que le coteau qui le domine obligera,... à construire des murs pour le soutènement des terres et des escaliers permettant, pour la durée des crues, l’accès au groupe scolaire. »
Henri JOUBERT proposait un autre terrain dans le bourg, au lieudit « La Taudière » : « ... la Taudière ne présente aucun des inconvénients du terrain de Richebourg. A l’abri des inondations de la Loire, sans déclivité gênante, de bonne qualité, aussi spacieux qu’on le voudrait, puisqu’il fait partie d’une vaste étendue dans laquelle, à prix égal, on aurait un espace plus considérable, ce terrain longe un ruisseau alimenté par des fontaines qui ne tarissent jamais et a un fonds solide ne devant occasionner aucune dépense extraordinaire quant aux fondations. ».
Enfin mon trisaïeul conclut : « Pour tous ces motifs, ..., le soussigné estime qu’il y a lieu de surseoir à l’exécution du projet soumis à enquête et de pourvoir à l’établissement du groupe scolaire sur le terrain du sieur Houée. » Henri Joubert
Mais contre toute attente, le terrain de Richebourg fut quand même retenu. En effet, en 1885, « l’école de garçons comme de filles (étant) dans un état délabré et malsain et (ayant) même causé la mort d’un instituteur », l'école fut menacée de fermeture sous la pression des hygiénistes. Il fallait faire vite. Les plans signés de l’architecte respectant les directives du Ministère furent adoptés. Un entrepreneur de Bessé obtint le chantier de construction du groupe scolaire par adjudication en Août 1886. Les travaux d’aménagement démarrèrent et furent réceptionnés le 19 Septembre 1887, probablement pour la rentrée scolaire, donnant à l’école communale sa forme actuelle.
Epilogue
Si la construction fut rapide, s’ensuivit un feuilleton judiciaire qui durera près de 10 ans. En raison de son manque de moyens financiers la commune essaiera de prouver des malfaçons et l’affaire ira jusqu’au Conseil d’Etat, mais finalement la facture sera payée avec des intérêts de retard. En 1895 la commune est autorisée par décret préfectoral à « emprunter 7 700 francs et à s’imposer extraordinairement » pour acquitter sa dette. Ce fut le prélude à une petite bombe électorale.
Au mois de Janvier dernier, dans un article intitulé « Les fêtes religieuses au Thoureil à la fin du XIXème siècle », je vous racontais comment mes arrières grands-parents, Gilles Ernest et Emilie ROBLIN [16], avaient accueilli chez eux en Mai 1887, les habitants du Thoureil et leur curé, à l’occasion de la procession du Saint Sacrement. A l’issue de la cérémonie, mes aïeux avaient servi une collation. Après un verre ou deux, les langues se délièrent. Les épidémies de mildiou et de philloxera et leurs conséquences sur les prochaines vendanges obsédaient encore les esprits. Mais une autre question circulait depuis peu : Pourrait-on compter sur les enfants en primaire, pour aider aux vendanges lors la prochaine rentrée scolaire ? Si la plupart des gens présents avaient bien accueilli la gratuité de l’école pour tous et l'aménagement de locaux enfin salubres, la nouvelle interdiction faite aux religieux d’enseigner dans le public [17], ne convenait pas du tout à d'autres.
A l'issue de cette journée, le Curé et Henri JOUBERT évoquèrent l’intérêt qu’il y aurait à ouvrir une « école libre » dans la commune. Mon arrière-grand-père, Gilles Ernest ROBLIN assura le curé de son entier soutien dans ce projet. Il fallut néanmoins attendre la décennie suivante pour que les habitants du Thoureil puissent faire un choix réel entre école laïque et école libre, au moins pour leurs filles.
A suivre prochainement : L'école libre de « la Taudière » au Thoureil
Notes de fin
[1] Une loi du 15 Juillet 1840 avait en effet réuni le bourg du Toureil (commune depuis la Révolution) à la commune de Saint Georges des Sept Voies sous le nom de Saint Georges-le-Toureil.
[2] En 2016, la commune du Thoureil a rejoint la communauté de communes de Gennes Val-de-Loire, devenant ainsi une commune déléguée.
[3] Le domaine et le logis de la Sansonnière, devenues aujourd’hui l’auberge de la Sansonnière, qui jouxtent la mairie de Saint Georges des Sept Voies, furent acquis par la commune de Saint Georges « pour y installer la mairie, les deux écoles et la société d’agrément ».
[4] Qui existe depuis la Révolution française de 1789.
[5] L'enseignement public est laïque depuis les lois Jules FERRY du 28 mars 1882 et du 30 octobre 1886 qui instaurent une « instruction morale et civique » à la place de l'enseignement de la morale religieuse et pour la seconde la laïcité du personnel et des programmes
[6] Grâce au don « d’une maison et dépendances sises à la Sansonnière », qu’une certaine Demoiselle Joséphine GALBRUN avait fait à l’ancienne commune. L’acte authentique rédigé en 1853 par Maître DELY, notaire à Angers, précise que la donation avait été faite « pour qu’une école de filles desservie par une communauté religieuse fût établie dans les locaux ».
[7] La communauté avait été fondée en 1814 par Marie Moreau, une jeune habitante de la Pommeraye dans le Maine et Loire et se consacrait aux soins des malades et à l'enseignement. Profitant de la loi Falloux qui laissait une place ample à l’enseignement confessionnel, leurs établissements se multiplièrent dans les années 1850. Célestin Port mentionne en 1872 que 71 religieuses résidaient dans la Maison mère à la Pommeraye et que plus de cent « obédiences » étaient alors répandues principalement dans l’Anjou et la Touraine. Parmi celles-ci, l’école de la Sansonnière.
[8] Caractérise un lieu où les habitants ont de nombreuses querelles absurdes ou dérisoires.
[9] La batellerie avait toujours joué un rôle essentiel dans la vie économique du Toureil jusqu’à la construction du chemin de fer sur l’autre rive de la Loire.
[10] En 1869, une seule route départementale (la N°14) traversait la partie Sud Est de la commune, reliant Gennes à Saint Rémy-la-Varenne par Saint Georges des Sept Voies et reliée au bourg du Thoureil et à la Loire par plusieurs chemins vicinaux. Pour gagner Saumur ou Angers, les habitants du bourg avaient peut-être plus vite fait de traverser la Loire avec une barge et d’attendre le train à la gare de la Ménitré.
[11] En 1855, une levée est réalisée créant une « levée de terre et un chemin vicinal ». En 1862, à nouveau corrodée par les eaux, la « levée du Thoureil » est surélevée et consolidée par un perré, digue de défense contre les inondations. D’autres travaux eurent lieu en 1869.
[12] Extrait d’un courrier écrit par Henri JOUBERT, mon trisaïeul, le 12 Août 1869 à Monsieur Charles LOUVET, Président du Conseil Général et bientôt Ministre du Second Empire, appuyant ainsi la demande des représentants de la partie basse de la commune pour l’ouverture d’un nouveau chemin.
[13] Charles Paul Eugène PORIQUET fut Préfet du Maine et Loire de 1865 au 4 Septembre 1870, date à laquelle il démissionna de la fonction publique.
[14] La commune du Thoureil loua à un certain Monsieur Martin RENOU pour 100 francs par an la maison voisine de l’école.
[15] Les lois Jules FERRY instaurent un enseignement obligatoire en primaire de 6 à 13 ans ; les enfants pouvant toutefois quitter l'école avant cet âge s'ils ont obtenu le certificat d'études primaires (institué le 28 mars 1882).
[16] Gilles Léopold Ernest ROBLIN, poitevin de Mirebeau et avocat, épousa en 1869 Marie Emilie JOUBERT, fille unique d’Henri JOUBERT. En 1887, celui-ci fit don à sa fille de l’ensemble de ses biens au Thoureil.
[17] loi Goblet du 30 Octobre 1886, qui interdit aux religieux d'enseigner dans le public.
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