« Les Noyades de Nantes » en 1793,
huile sur toile de Joseph Aubert, 1882
Pour écrire cet article sur le thème de "Une Marie", j'avais l'embarras du choix parmi mes ancêtres. Du côté de ma mère, ce prénom est en effet porté par tous les personnages, à chaque génération, depuis la deuxième moitié du XIXème siècle. Il se combine avec d'autres prénoms, ou apparait en 2eme, 3eme ou 4eme prénom pour les garçons. Portant moi-même le prénom de Marie en 3eme position sur mon état civil, mes parents n'ont fait que perpétuer une tradition bien ancrée en France encore à la fin du XXème siècle (1).
Mon choix s'est porté aisément sur la "Marie" dont ma mère nous disait systématiquement, par exemple à l'occasion de la fête du 14 Juillet, que les sans culottes avaient voulu emmener son "aïeule" jusqu'à Nantes, attachée à la queue d'un âne, pour y être noyée ou guillotinée. J'étais petit mais j'avais été frappé par cette histoire. Ce n'est que des années plus tard que, m'intéressant à la généalogie familiale, je situais Marie Barabé sur mon arbre et reconstituais l'histoire de sa fin tragique, intimement mêlée à l'Histoire de la guerre de Vendée en pays angevin (2).
Marie Barabé est ma huitième aïeule (3) du côté de ma mère. En Décembre 1793, elle fut considérée comme "suspecte" par le Comité révolutionnaire de la ville d'Angers et arrêtée à son domicile. Dans une liste de dénonciation, elle est désignée comme étant "Marie Barabier femme, veuve Paulmier vivant de ses revenus son mari mort depuis 20 ans ci devant officier pour la gabale - suspecte". Dans la marge, est annoté le nom d'un lieu funeste à l'époque : celui de la prison du Calvaire d'Angers.
Il ne me restait plus qu'à reconstituer les conditions de son arrestation et découvrir le véritable sort que mon ancêtre avait connu.
Mais commençons par le début : Marie Barabé est née le 26 Octobre 1733 à Beaulieu-sur-Layon, dans l'actuel département du Maine-et-Loire. Elle était la fille de Julien Barabé, Conseiller au Présidial d’Angers. Elle hérita de son père leur maison située dans le bourg. Elle apporta cette demeure dans sa dot lors de son mariage le 5 Septembre 1757 avec Pierre François Paulmier, Procureur du Roi au "contre mesurage des sels de la Pointe" (4),
De son mariage, Marie eut quatre enfants, dont :
Pierre Claude, né à Beaulieu le 17 Août 1758,
Marie Charlotte Aimée, née à Beaulieu 12 Janvier 1760,
Julie Victoire, née à Beaulieu le 12 Décembre 1760, devenue religieuse,
Enfin, un enfant né, baptisé et mort à Beaulieu le 28 Janvier 1763.
Son époux, Pierre François, décéda relativement jeune, en 1771 à Angers. Il avait 45 ans. En quittant ce monde bien avant la prise de la Bastille, on peut supposer qu'il évita le pire. En effet, en tant qu'officier du sel, il était chargé de collecter la "gabelle" (5). Cet impôt fut aboli dès 1790, mais les officiers du sel ainsi que leurs "gabelous" (6) furent pourchassés et bien souvent conduits à la guillotine.
Veuve, Marie Barabé vivait donc de ses rentes entre Beaulieu et Angers au début de la Révolution. En 1793, pour défendre la République en danger face aux puissances européennes, la Convention nationale exigea plus de soldats que jamais et procéda à une levée "de 300 000 hommes parmi les garçons et veufs sans enfants..." (2). Dans l'Ouest, et notamment en pays angevin, les paysans se rebellent, s'organisent et résistent aux troupes venues réprimer leur soulèvement. C'est le début des guerres de Vendée. Des escarmouches éclatent autour de Beaulieu dès la fin Mars. Ne se sentant plus en sécurité à la campagne, Marie se réfugia dans sa maison d'Angers, rue Saint Michel, avec sa fille Marie Charlotte Aimée. En faisant ce choix de la ville, Marie scella son destin.
En Novembre 1793, après une série de victoires puis de défaites, les Vendéens et leurs chefs royalistes tentèrent de prendre la ville d'Angers. La cité angevine résista, Le 4 Décembre, les Royalistes renoncèrent à leur projet et prirent la route du Mans. Le danger d'invasion écarté, les dénonciations se multiplièrent auprès du Comité révolutionnaire et la répression s’abattit sans mesure sur les suspects. Marie Barabé n'échappa pas à la fureur révolutionnaire. Le seul motif d'être veuve du "ci devant officier pour la gabale" suffit-il à justifier son arrestation ? Il est possible qu'elle fut aussi considérée comme la mère d’un traître à la patrie en danger,
En effet, Pierre Claude, son fils aîné, avait choisi de rejoindre les Vendéens et leurs chefs royalistes, alors qu'il avait jusque là combattu au côté des bleus, en tant que garde national. Dès le mois d'Avril 1793, Pierre Claude écrivit à sa soeur Marie Charlotte un certain nombre de lettres (7), décrivant ses premiers combats contre les paysans vendéens. Ainsi, le 26 mai 1793. Pierre Claude écrit depuis Saint Georges sur Loire à sa chère sœur : "Me voilà derechef enrôlé sous les drapeaux de Mars." Il semble toujours acquis à la cause républicaine, mais n’a plus la même ardeur à combattre : "j’espère que nous serons relevés sous huit jours par des troupes qui brulent du désir de se mesurer avec les brigands". Il fatigue : "tout mon regret est de me voir si avancé en âge". Les circonstances qui l'amenèrent à changer de camp ne sont pas clairement établies. En tout cas, il était du côté des Vendéens à la bataille de Granville en Novembre 1793 où il fut tué par un boulet de canon.
Enfin, il semblerait qu'un voisin de Marie Barabé rue Saint Michel avait accueilli chez lui un prêtre réfractaire à la Convention, le curé Repin. Marie était-elle au courant de ce voisinage contre-révolutionnaire ? Si oui, elle se serait rendue aux yeux des révolutionnaires complice (8).
Les sans culottes enfermèrent Marie, 60 ans, à la prison du Calvaire d'Angers. Sa fille Marie Charlotte ne put rien y faire et trouva alors refuge chez sa tante Paulmier au Thoureil, un petit village des bords de Loire entre Angers et Saumur.
Vitrail de la Chapelle des Champs des martyrs d'Avrillé,
12 Janvier au 16 Avril 1794
Le 11 décembre, suivant à la lettre les ordres de l'Assemblée Nationale, on commença à mener les prisonniers, les hommes comme les femmes, vers la Loire pour les y noyer. Est-ce que les sans culottes voulurent vraiment emmener mon ancêtre jusqu'à Nantes, attachée à la queue d'un âne ? C'est peu probable. Dans les faits, ils se contentèrent de la laisser croupir en prison et bientôt de brûler sa maison de Beaulieu.
La commune de Beaulieu était déjà entrée dans l’Histoire de la Vendée militaire lorsque le 19 Septembre 1793, les Républicains, y subirent une défaite sévère face aux Vendéens [9]. Beaulieu fut bientôt inscrite sur la liste des 735 communes visées par le plan du général Turreau. Une de ses "Colonnes" (10) commandée par le général Cordellier, arriva à Beaulieu le 22 Janvier 1794. Il ordonna que le bourg soit pillé et brûlé : Les Bleus mirent le feu à la maison de Marie Barabé, mais dans leur zèle destructeur, commencèrent également à mettre le feu à la « Pinsonnière », jouxtant la résidence de Marie Barabé. Cette maison bourgeoise, construite en 1780, appartenait alors à un certain Jean Charles Pinson (11), qui n'était autre que le chef de la Garde Nationale de Beaulieu. Les soldats furent arrêtés in extremis par un citoyen qui leur signala que la maison était à un patriote. Le dit patriote signa d'ailleurs le procès verbal suivant :
Extrait du rapport de Louis Pierre Choudieu du Plessis,
juge de paix de Thouarcé et membre de la commission à la suite de l'armée
(AD 49, 94 L)
De sa geôle, Marie Barabé apprit elle que sa maison avait été réduite en cendres ? Fin Janvier 1794, elle attendait encore dans sa geôle son triste sort. Début Février, les cadavres pullulaient tellement dans la Loire qu'une épidémie menaçait. Le 8 février 1794 (20 pluviôse An II), le Comité de Salut Public rappela de Nantes le maître d'oeuvres de ces atrocités, Carrier. Marie Barabé échappa peut-être ainsi à ce funeste destin.
Mais les conditions d'hygiène n'étaient pas meilleures en prison. Une pétition fut bientôt adressée au Comité révolutionnaire d'Angers par les chirurgiens de la prison du Calvaire :
« Les individus sont plongés dans la fange, rongés par la vermine et entassés les uns sur les autres dans de petites chambres qui sont tellement infectées par les miasmes putrides qui s'exhalent des morts et des mourants, qu'en y entrant on est sur le point de se trouver suffoqué… Tous ceux qui sont détenus au Calvaire seront la proie des douleurs et bientôt au nombre des morts… il n'y a pas de jour qu'il n'en meure 6 ou 8 ; je puis même prouver que les malades de cette maison se montaient hier au nombre de 250 ou 300. Si l'on ne remédie pas un peu à tous ces abus, on verra les maladies se propager de proche en proche et se répandre jusque dans le sein même de la ville. »
Le temps que la pétition soit examinée par le Comité Révolutionnaire, et que des mesures élémentaires d’hygiène produisent leurs effets, il était trop trop tard pour que Marie Barabé puisse éventuellement en profiter. Sans doute affaiblie par ses deux mois de captivité, elle est décédée le 19 Février 1794 en prison, ayant tout perdu, et sans doute seule,
Mon ancêtre, Marie Barabé, fait malheureusement partie des nombreuses victimes de la Terreur qui ne furent jamais recensées comme tel, avant qu'un écrivain et historien, François Constant Uzureau [12] n'écrive au XXème siècle au sujet des victimes de la Terreur en Anjou :
« Quand on parle des victimes de la Terreur, c'est aux seules personnes guillotinées, fusillées et noyées que l'on pense… M. Godard-Faultrier et après lui M. Camille Bourcier croient que leur nombre en Anjou fut environ de 10.000 et leurs conclusions motivées méritent toute créance. Mais ils ont oublié de faire figurer dans leurs raisonnements le nombre très considérable des personnes qui n'ont pu être ni guillotinées, ni fusillées, ni noyées, parce que mortes en prison. Et pourtant, comme les autres, ce sont là des victimes de la fureur révolutionnaire. Il convient donc de les faire entrer en ligne de compte si nous voulons avoir la statistique complète de ceux qui perdirent la vie pendant la tourmente… Les registres de l'état-civil des trois arrondissements de la ville d'Angers nous donnent un total de 1.020 décès en prison, soit 711 femmes et 309 hommes. »
Extrait d’une liste des personnes décédées
dans la prison du Calvaire pendant la Révolution (document non officiel)
(1) D'après Wikipedia, Marie serait resté le prénom le plus populaire en France au cours du XXème siècle.
(2) Cf l'ouvrage de Philippe Candé : "La guerre de Vendée en pays angevin"..
(3) C'est à dire la trisaïeule de la grand-mère paternelle de ma mère, ou, pour les initiés, le N° Sosa 215 sur mon arbre généalogique.Lire page 200 de l'ouvrage de Philippe Candé : "La guerre de Vendée en pays angevin".
(4) Charge héréditaire qui se perpétuait dans cette vieille famille angevine depuis le milieu du XVIIème siècle. La Pointe de Bouchemaine, qui marque l’embouchure de la rivière Maine dans la Loire au Sud d’Angers, était un poste de péage important sur le fleuve après la frontière Anjou-Bretagne à la hauteur d’Ingrandes, en aval. Depuis le Moyen-âge, de nombreux droits étaient perçus sur toutes les denrées qui remontaient la Loire. Et bien sûr, il fallait « contre mesurer » ce qui avait déjà été mesuré par les Bretons. Le bureau des Fermes se trouvait au lieu-dit « La Prévôsté », et la chapelle de Notre-Dame de Ruzebouc faisait alors fonction de grenier à sel.
Ancien bureau des Fermes de « La Prévosté »
(5) La gabelle était un impôt sur le sel. Il fut considéré en 1790 comme un impôt inique et injuste à cause de l’énorme inégalité qui présidait à sa répartition, et donc aboli.
(6) Le gabelou est un synonyme de douanier. Sous l'Ancien Régime, il s'agissait du douanier qui était chargé de collecter la gabelle. Aujourd'hui encore ce terme est utilisé pour désigner les douaniers.
(7) Archives de famille dont je conserve une copie dactylographiée - ndla,
(8) De récentes recherches aux Archives Départementales d'Angers me permettront, je l'espère, de vous en dire plus bientôt.
(9) Il s’agit de la bataille du Pont Barré, situé à la hauteur du bourg, sur la route d'Angers à Cholet. 1362 Républicains y perdirent la vie. Cette bataille fut d’autant plus retentissante que le même jour, à Torfou, les Vendéens mirent aussi en déroute l’armée de Mayence, la meilleure d’Europe, qui formait la principale attaque dans un mouvement de tenaille sur les Mauges. Un mois plus tard, après la défaite des Vendéens à Cholet, bon nombre d'habitants de Beaulieu suivirent les troupes Royalistes dans la virée de Galerne.
(10) Le 17 janvier 1794 (28 nivôse An II), appliquant le mot d'ordre de destruction de la Vendée, le général Turreau qui a reçu le commandement de l’armée de l’Ouest organise les « Colonnes infernales » qui vont ravager le département. Désavoué par la Convention, Turreau est suspendu au printemps 1794 puis brièvement emprisonné après Thermidor. Il poursuit ensuite sa carrière militaire avant de servir dans la diplomatie de l'Empire.
(11) Jean Charles Pinson était un un notaire d’Angers, commandant d’une compagnie de la milice bourgeoise. A la Révolution, il devint chef de la Garde Nationale de Beaulieu.
[12] Il fut avec Célestin Port, l'un des premiers à consulter les sources relatives aux Guerres de Vendée, son sujet de prédilection, aux Archives départementales du Maine-et-Loire. Certains historiens lui reprochent un parti pris favorable aux Vendéens – que dire alors de Célestin Port ! – et le manque de renvois précis aux documents originaux. Malgré tout, l'œuvre du chanoine Uzureau, décédé le 29 mars 1948, constitue toujours une référence dans l'historiographie vendéenne.
Très bel article, quelle vie !!! Cette période m'intéresse beaucoup car je fais partie d'une association qui réhabilite un château ayant appartenu au neveu de Charrette en Loire-Atlantique près de Nantes. Belle illustration de la vie à cette époque, merci.
Article très intéressant, bien documenté.
J'ai connaissance des guerres de Vendée, mais pas de cet épisode particulier. Merci pour le partage 🙂
Très intéressant récit historique de Marie!
Bel article bien documenté, qui nous replonge dans l'histoire des guerres de Vendée.
Très bel article bien illustré qui nous replonge dans l'histoire de la révolution française. J'ignorais l'épisode des noyés. J'ai beaucoup appris dans cette lecture.
Une petite remarque : l'arbre généalogique est illisible même en agrandissant.