Mon arrière grand-père, Gustave Edmond COUDRET pendant la guerre franco-prussienne de 1870 - 1871 (Première partie)
- Régis COUDRET
- 20 juin
- 9 min de lecture

Un conflit presque oublié

Lorsque j’étais au lycée dans les années 1970, notre professeur d'Histoire nous demanda, en vue du baccalauréat, de retenir le nom d’une petite ville des Ardennes et une date : Sedan, le 2 Septembre 1870. Il s'agissait de la capitulation de l'Empereur NAPOLEON III face au Chancelier Otto Von BISMARCK. et cela semblait clôturer la guerre franco-prussienne de 1870-1871, On tournait bien vite la page et. commençait alors le chapitre sur la IIIème République. Je ne gardais de cette période que l’image d’Epinal de l’envol de Léon GAMBETTA en ballon, le 7 Octobre, depuis Paris encerclée, vers Tours où se constituait « l'Armée de la Loire ». A l'époque, j'ignorais tout de la trahison du Maréchal François Achille BAZAINE, commandant l’Armée du Rhin, qui capitula à Metz le 28 Octobre 1870, livrant ainsi à l'ennemi, sans coup férir, 175 000 hommes et un matériel considérable. Ces soldats aguerris et ces armes manquèrent cruellement à la jeune armée républicaine. Elle n'eut pas le temps ni les moyens nécessaires de s'organiser, avant l'arrivée des Prussiens, retenus jusque là dans l'Est.

C’est en emménageant au Mans au début des années 1990, que je pris conscience de l’existence au Nord de la Loire, de monuments aux morts érigés sur les champs des nombreuses batailles qui se succédèrent ensuite jusqu'à la proclamation de l'Empire allemand à Versailles fin Janvier 1871. A cinq kilomètres de mon domicile, se dresse ainsi un monument de ce conflit presque oublié : celui de la bataille du Mans [1]. Des milliers de volontaires, de gardes mobiles et des évadés de l’Armée du Rhin qui avaient refusé la reddition de BAZAINE, avaient tenté encore une fois de stopper l’avance de l'Armée prussienne. En vain : bien mieux équipées et entraînées à la guerre que la France de l'Empereur déchu, les troupes du Chancelier remportèrent toutes les batailles décisives.
Je savais que mon arrière-grand-père, le Général de Brigade Gustave Edmond COUDRET, Polytechnicien et Officier d'Artillerie, avait commencé sa carrière à Metz en 1870 et participé à un des faits d’armes de cette guerre. Des recherches au Service Historique de la Défense à Vincennes m’ont permis de reconstituer le parcours qu'il effectua pendant les 6 mois que durèrent les hostilités. Des écrits d'évadés de l'Armée du Rhin encerclée à Metz m'ont aidé à imaginer le reste de son périple.
Edmond COUDRET, admis à l’Ecole Polytechnique
Gustave Edmond COUDRET est né le 1er août 1850 à « trois heures et demie du soir », au N° 7 bis de la rue d’Angiviller à Versailles. Son père, Jean Victor, était un entrepreneur de maçonnerie, bien implanté sur la ville [2]. Et sa mère, Jeanne Palmire, née VATINELLE, élevait déjà leurs deux autres enfants : Jeanne Eugénie, née le 4 Septembre 1846 et son frère, Louis Paul, puiné le 10 Juin 1847. Comme tous les COUDRET depuis cent ans, le benjamin Edmond fut baptisé à l’église de Notre Dame de Versailles.

Issu d’un milieu bourgeois plutôt aisé, Edmond effectua ses études au Lycée Impérial de Versailles [3] où il obtint un « certificat de grammaire » le 1er août 1863. Il avait alors tout juste 13 ans. Quatre ans plus tard, le 20 Juillet 1867, son diplôme de bachelier « es sciences » en poche, Edmond fut admis à l’examen du premier degré d’admission à l’Ecole Polytechnique, c'est-à-dire, l’équivalent à l’époque des préparations de « maths sup et spé » d’aujourd’hui.

Edmond intégra l’Ecole Polytechnique le 1er Octobre 1868. Sa fiche signalétique le décrit comme un jeune homme aux cheveux et sourcils blonds, front découvert et nez fort, yeux gris, bouche moyenne, menton large et visage ovale, d’une taille d’un mètre et 66 centimètres. A la déclaration de la guerre par la France, le 19 Juillet 1870, Edmond venait de terminer ses examens de fin d’études. Il fut déclaré admissible dans les services publics le 1er Août 1870 avec le rang de 38ème sur 136. Son choix se porta sur l’Artillerie, où il était 4ème sur 60 élèves. L'Artillerie de terre était le service public le plus prisé à l'époque, loin devant le Génie ou les Ponts et Chaussées. Ayant choisi de servir dans l'Armée, Edmond fut nommé automatiquement Sous-Lieutenant, Elève d’Artillerie à l'Ecole Impériale d'Application de l’Artillerie et du Génie à Metz, par décret impérial du 8 Août 1870 prenant effet le 10 du mois. Depuis une semaine, les combats entre Français et Prussiens faisaient rage à l'Est de la place forte.

L'encerclement de la ville de Metz


Son avis de nomination fut signé le 10 Août par le Général Paul Gustave DEJEAN. Ce jour-là, le Secrétaire d’Etat au Ministère de la Guerre continuait de signer à Paris des actes administratifs, comme les nominations d'officiers, alors que son Ministre, le Major Général Edmond LE BŒUF venait de rejoindre en catastrophe l’Empereur à Verdun. Les évènements sur le théâtre des opérations militaires étaient en train de s’accélérer : le 7 Août, le 2ème Corps de l’Armée du Rhin, commandé par le Général Charles Auguste FROSSARD, s’était replié à la hâte de Forbach, après avoir été débordé la veille à Spicheren, une bourgade située à quelques kilomètres de la frontière avec l’Allemagne, par les troupes du Général Karl Friedrich Von STEINMETZ. FROSSARD avait attendu en vain des renforts du 3ème Corps du Maréchal BAZAINE, déployé autour de Sarreguemines. Cette deuxième défaite de l’Armée française en seulement deux jours [4] faillit même par tourner à la déroute.
Mal préparés, dispersés face aux Prussiens mais surtout très mal commandés, les soldats de l’Armée du Rhin furent ensuite battus dans plusieurs combats [5] par les coalisés prussiens et allemands. Regroupée enfin autour de Metz le 11 Août, l’Armée du Rhin aurait dû retraiter sur Verdun, où l'attendait l'Empereur avec sa Garde et LE BOEUF. Mais le Maréchal BAZAINE qui venait d'obtenir de NAPOLEON III le Commandement en chef de l’Armée du Rhin, préféra considérer Metz comme la planche de salut.

Pendant ce temps, Edmond avait accusé réception de sa nomination le 11 Août. Il était alors au domicile de ses parents à Versailles. Le courrier du Ministère précisait qu'il devait se rendre à l’Ecole de Metz « immédiatement » sans bénéficier d’aucun congé. Il eut tout juste le temps d’embrasser sa mère et son père. Muni d’une feuille de route qui l’autorisait à voyager vers une zone militaire, il se rendit à la gare de l’Est. Les trains de la Compagnie des chemins de fer pour Nancy fonctionnaient encore. Les nombreux transports de troupe ralentissaient le trajet. Après de nombreux arrêts et un changement, il arriva à Metz-Ville le 14 Août. Rendu à l’Ecole, il apprit qu’on envisageait de replier l’Ecole d'Application de l’Artillerie et du Génie sur Paris. Le lendemain, il n’en était plus question. L'enseignement était ajourné sine die et les élèves étaient mobilisés.

En temps normal, le cursus des Sous-Lieutenants qui arrivaient à l’Ecole, était de deux ans. Ils avaient le temps de prendre leurs quartiers sur le site même de l’Ecole, de se préparer aux cours théoriques avancés et aux travaux pratiques comme la topographie, etc… Ils s'initiaient ensuite aux manœuvres d’artillerie et aux exercices de siège et de défense de places fortes. Edmond passa tout de suite de la théorie à la pratique, sans même défaire son paquetage. Il dut apporter comme la plupart des « bleus » de l’Ecole, une contribution au renforcement de redoutes en terre qui allaient former comme une seconde ceinture autour des fortifications de Metz déjà existantes. Il aida peut-être aussi à l'acheminement et à l’installation de wagons sur la place de l'Esplanade, située devant l’Ecole. Ces transports de marchandises accueillirent bientôt les troupes et les blessés de l’Armée du Rhin qui refluaient dans Metz. En effet, après avoir été vaincu à Gravelotte par l’armée du Général Helmuth Von MOLKTE le 18 août 1870, le Maréchal BAZAINE battit définitivement en retraite vers la place forte, où il espérait trouver un appui défensif important [6].

Le 20 Août, date à laquelle Edmond devait initialement se présenter au Général Jean Baptiste FOURNIER, Commandant l’Ecole, l’encerclement de la ville de Metz était réalisé par les Allemands. La population de la ville, sa garnison et son Ecole, ainsi que les 200 000 hommes de l’Armée du Rhin se retrouvèrent pris dans une nasse. Le Major Général LEBOEUF assurait à NAPOLEON III, la veille de l’entrée en guerre le 19 Juillet, qu’« il ne manque pas un bouton de guêtres » à l’Armée du Rhin. Edmond put constater que certains canons placés sur les remparts de la ville de Metz dataient parfois de l’époque de Louis XV et se chargeaient par la bouche. En face les Prussiens commencèrent à installer leurs batteries de canons KRUPP, dont le chargement se faisait par la culasse. Ils tiraient des obus jusqu'à 3 000 mètres.
D'après son dossier militaire, Edmond ne fut pas affecté à une batterie d’artillerie, dite « à pieds » [7]. Pour autant, tout en assurant son service à l'intérieur de la ville, il allait bientôt subir comme tout le monde, les effets du blocus prussien.
La capitulation de Bazaine
De nombreux ouvrages ont été écrits sur le blocus de Metz. Ce n’est pas mon propos ici de les plagier. En quelques mots seulement, ce siège s’est déroulé du 20 août au 28 octobre 1870. Les Français de BAZAINE tentèrent de le rompre à Noisseville le 31 Août. Ils furent repoussés. La seconde partie de l’Armée française, reformée au camp de Châlons par l’Empereur et commandée par le Maréchal de MAC MAHON, tenta en même temps de venir en aide à l’Armée du Rhin, mais deux armées allemandes la piégèrent le 1er Septembre 1870, dans les Ardennes. Ce fut la bataille de Sedan [8] où NAPOLEON III fut fait prisonnier.


Les Prussiens firent bien sûr circuler ces informations dans Metz. La population apprit ainsi la nouvelle de l’abdication de l’Empereur, la proclamation de la République à Paris, enfin l'encerclement de la capitale, sonnant le glas de leurs espoirs de renforts. BAZAINE tenta encore de forcer le blocus le 7 Octobre mais il fut à nouveau repoussé dans ses fortifications. Pas moins de 15 000 malades ou blessés s’entassaient alors dans les hôpitaux de la ville ou des baraquements de fortune. Les vivres et l’eau étaient à ce moment sévèrement rationnés et l’on commençait à manger des chevaux et même des rats pour tromper la faim. L’efficacité du blocus allemand portait ses fruits.

Fin Octobre, la privation de nourriture affectait le moral des habitants mais les Messins n'avaient jamais capitulé. Personne et surtout pas les troupes ne soupçonnaient le Maréchal BAZAINE d’être entré en négociation avec l’ennemi. C'est au château de Frescaty, sur la commune de Moulins-lès-Metz, qu'est signée, le 27 octobre 1870 la capitulation de Metz. François Achille BAZAINE qui fut jugé et condamné à mort par ses pairs en 1873 [9], choisit de se rendre le 28 Octobre, livrant à l’ennemi plus de 175 000 prisonniers et un matériel considérable. Le 29 octobre 1870, vers 16 heures, les troupes prussiennes entraient triomphalement dans la ville. Cette reddition soudaine permit au prince Frédéric-Charles de Prusse et à son Armée de rejoindre rapidement la vallée de la Loire avec pour objectif de vaincre l'Armée éponyme, qui se constituait avec des troupes rappelées d'Algérie. Léon GAMBETTA, arrivé le 7 Octobre sur place, comptait sur ces derniers soldats de carrière pour encadrer « des engagés volontaires, des jeunes soldats de la classe de 1870, … enfin des mobiles dénués de toute instruction militaire. » Les évadés de Metz vinrent bientôt renforcer leurs rangs en Picardie, en encadrant l'Armée du Nord. Ce sont tous ces hommes de bonne volonté « qui pendant près de quatre mois encore, vont combattre pied à pied l’envahisseur… » Quelques jours après la reddition de BAZAINE, mon arrière grand-père Edmond COUDRET put très vite se joindre à eux. Je vous raconterai prochainement la suite de son parcours pendant cette guerre dans une deuxième et dernière partie.
Prochainement : Edmond COUDRET rejoint l'Armée du Nord.
Notes de fin
[1] La bataille du Mans, encore appelée bataille d’Auvours, opposa le 10 Janvier 1871, la Deuxième Armée du prince Frédéric Charles de Prusse à la Seconde Armée de la Loire, commandée par le Général CHANZY. Ce fut une défaite décisive pour les Français.
[2] Jean Victor COUDRET était notamment cofondateur de la Caisse d’Epargne de Versailles.
[3] Devenu l’actuel Lycée Hoche en 1888
[4] La première bataille et retraite du Corps d'Armée commandée par le Maréchal de MAC-MAHON avait déjà eu lieu à Wissembourg le 4 Août, suivie d'une déroute le 6 à Frœschwiller-Wœrth.
[5] Borny, Gravelotte, Saint Privat, etc...
[6] Les fortifications de Metz avaient été en effet renforcées et quatre nouveaux forts détachés, complétés par des redoutes en terre, formaient une seconde ceinture fortifiée réputée infranchissable.
[7] Désigne les batteries d'artillerie affectées aux ouvrages de défense des forts par opposition aux batteries « montées », c'est-à-dire tirées par des chevaux.
[8] Pour celles et ceux qui aimeraient en savoir plus sur cette bataille décisive de la guerre franco-prussienne de 1870 - 1871, je recommande le lien suivant : La létalité du feu : la bataille de Sedan (1870) . Cette vidéo de 8 mn apporte un éclairage très intéressant sur l'aspect militaire de ce conflit, véritable charnière entre les guerres napoléoniennes et la Grande Guerre.
[9] Sa peine fut commuée par le Président de la République MAC MAHON en vingt ans de forteresse.
Merci Régis pour ton travail de mémoire, toutes tes recherches.
J'ai hâte de connaitre la suite de l'histoire de notre arrière grand-père, un homme de la lignée courageuse qui va suivre, peut être en est la source.
Aussi un lien avec cette Alsace, cet Est ou j' enracine une autre vie et en laquelle il s'est aussi battu.
Belle histoire de famille à défaut d'être une belle histoire qui pour la petite histoire, guerre à la responsabilité de Napoléon III .
Nous vous embrassons.
Pierre et Chantal
Merci de nous faire partager cette vie "ordinaire". Quelle histoire méconnue que celle de cette guerre qui fut pourtant à l'origine des deux suivantes !
Bonjour,
Bravo pour ce texte qui raconte ton histoire familiale et, à la fois, la grande histoire. C'est très bien écrit et très vivant.
J'ai hâte de lire la seconde partie.
Un article passionnant sur un conflit oublié et pourtant si important. Merci !